Le pays – 12

27 mai 2018

Elle est de ceux qui sont restés au pays et sont restés célibataires. On la voit parfois au bord de la route, accompagnée de la seule chèvre qui lui reste. On lui donnerait dix ans de plus que sa cinquantaine bien entamée. C’est un petit bout de bonne femme rougeaude qui respire l’inconfiance, à un point qu’on ne peut que juger véritablement maladif. Ma peur du regard des autres, à côté, passerait volontiers pour une lubie d’intello, de jeune et beau à qui tout sourit.

Elle nous téléphone de temps en temps et quand j’entends sa voix au bout du fil, je fais illico le deuil de mon programme pour la prochaine demi-heure. Elle a besoin de parler, mais elle n’a pas beaucoup à dire. Elle rumine ses malheurs et ses angoisses, semble ne pas entendre les encouragements et les propositions pour l’aider, ne pas comprendre même l’optimisme… De fait, il semble bien difficile de l’aider, et les coups de fil avec elle ont quelque chose d’une épreuve ; une épreuve toute relative bien sûr, et vite relativisée, relativement à ce qui fait son quotidien à elle.

Elle a changé néanmoins. Elle a changé, un peu, depuis qu’elle a un « collègue ». Un vieux bonhomme peut-être plus déprimé qu’elle, mais qui habite en ville et participe à des sorties en car. Maintenant qu’elle vit en partie avec lui, elle parle de ses problèmes à lui, et moins de ses propres obsessions. Ce n’est jamais une simple affaire de la quitter quand on a mille choses sur le feu et alors qu’elle a toujours un petit quelque chose à ajouter… Mais un petit rien dans l’atmosphère s’est allégé, et ce n’est pas tout à fait exagéré de dire que ça met du baume au cœur.