Le pays – 7

20 mars 2018

Une tronçonneuse hurle dans la vallée, combien d’oreilles se tendent ? Combien de jumelles sortent de leur étui ? « Et si c’était sur mes parcelles que… ? » (Un terrain dont rien n’est fait sans doute par son propriétaire, mais un sou est un sou et ses arbres sont ses arbres !) Aussi le cantonnier, quand il élague le bord des routes, a-t-il des visites plus ou moins courtoises de quelques inquiets pour la prolongation de leur chair faite terre à bois, lande ou taillis.

Aussi mon père en son temps a-t-il eu vite à qui parler quand il sortit sa lame mécanique pour abattre les pins de la parcelle d’à côté… Celle-là même de laquelle il n’en finissait pas de négocier l’acquisition quand il découvrit à la faveur de la publication du cadastre mis à jour qu’elle était déjà sienne. L’importun visiteur, qui en fut alors informé, et chercha sans doute confirmation de son côté ensuite, ne revint jamais réclamer justice pour son bien mal nommé. Les pins furent tous coupés, qui offrirent une fois couchés, un ensoleillement tout neuf aux cultures adjacentes – et l’occasion à des chênes pubescents d’occuper la place libérée. Puis d’autres pins tombèrent sur la même parcelle, qui ont découvert, eux, cinq jolies faïsses exposées sud-est sur lesquelles allaient s’épanouir finalement presque toutes les cultures légumières de la ferme.

Le pays – 6

23 novembre 2017

Le mazet, avec le bout de terrain, qu’ils entretiennent plutôt bien (débroussaillement, plantations), lui en parle comme d’une danseuse. Elle, ne dit trop rien de personnel.

Ce sont nos voisins. Des voisins de forêt (pas trop près), des voisins de la ville qui viennent en vacances et qui s’activent. Il n’y a rien à ajouter. C’est bien.

Ils passent chez nous pour aller à la rivière, naturellement (c’est le plus simple). Mais ils se sentent obligés, quand je les croise, d’essayer de me faire croire qu’ils comptent bientôt manger à notre table d’hôte (ils n’y sont venus qu’une fois il y a des années, mais fréquentent finalement plus volontiers le restau du village). C’est moins bien, c’est en trop, ça révèle un malaise. Et quand nous leur parlons de l’hypothétique installation de la yourte d’un ami sur un bout de terre à nous, proche du leur, ce qui ne demandait qu’à être révélé l’est : il ne faudrait quand même pas qu’on empiète trop sur leur tranquillité. C’est elle qu’ils cherchent ici, loin de leur trépidante cité.

Pourtant, une yourte habitée sur leur terrain, ça existe déjà, mais c’est de leur fait, et c’est loin du mazet, et c’est en échange de tâches par les habitants de la tente mongole. Surtout, c’est de leur fait. Comme les ultra-riches créent des fondations, ils ont leur œuvre de bienfaisance, leur entreprise de déculpabilisation sociale. L’essentiel restant que les vaches soient bien gardées, la propriété bien gérée. Et les arbres bien coupés : ils m’en ont donné sur pied, pour bois de chauffe, qui leur bouchaient la vue. Générosité bienvenue mais calculée. Jusqu’à quel point ? Je n’ai pas vraiment envie de me poser la question, et leur souhaite à eux, avant tout, comme première tranquillité, de manger où ça leur plaît et d’assumer leur usage sans contrepartie d’un sentier qui passe chez quelqu’un. On devrait s’en porter tous très bien !

Je le leur souhaite sans leur dire, trop effrayé par le malaise qu’une telle conversation ne manquerait pas de générer dans un premier temps.