Souvenirs – 5

13 mai 2018

Il y a deux ans, je prenais un rendez-vous chez l’homéopathe star du coin. Un de ces rendez-vous d’une heure, dévoués, vraiment, à l’homéopathie : ceux où l’on explore le patient pour soigner son terrain et pas uniquement son mal du moment. J’avais déjà vu par le passé d’autres homéopathes, qui n’avaient pas tenu les promesses de cette médecine sur ce point, ce qui m’avait fait douter, un peu de l’homéopathie, et beaucoup de ses praticiens. Il était temps de rentrer dans le vif du sujet, et j’y allais peut-être plus pour l’expérience que contre mes maux d’estomac et autres petits désagréments.

Le docteur est un loquace et il piqua ma curiosité quand il aborda les rapprochements qui sont à faire entre certaines expressions et des symptômes (en avoir plein le dos ; quelque chose qui fait chier), entre les organes douloureux et le sens que ça recèle (ne pas vouloir entendre quelque chose, ou le voir, quand on a mal aux oreilles, ou aux yeux ; avoir des problèmes relationnels quand le genou (je/nous) nous fait souffrir). En ce qui concerne les expressions, il me semblait élémentaire qu’elles aient été inventées sur la base des symptômes auxquels elles se référaient, mais le médecin me signifia que je faisais fausse route. Malheureusement, il est à craindre que nous parlons deux langues différentes, car, et cela malgré mes questions insistantes et mes tentatives d’interprétation de ses théories en un jargon qui me soit familier, il ne parvint à me communiquer la vraie route. Il finit même en vérité par s’en agacer, prétextant qu’on ne peut pas expliquer en quelques minutes le savoir accumulé en plusieurs années d’études. Je n’insistai pas. Un peu par peur de le braquer et qu’il soit moins attentif à mon cas ensuite, bien sûr aussi parce que je fuis le malaise, et également parce que je répugne à profiter du pouvoir quand je l’ai – et j’avais le sentiment de l’avoir – (ce qui fait de moi, soit dit en passant, un bien piètre débatteur, prêt à abonder un peu dans le sens de l’adversaire quand je suis gêné d’avoir le dessus).

La suite de l’entretien se passa le mieux du monde. Je l’avais préparé, et quand je lui servis mon auto-analyse comportementale sur un plateau, il ne fit pas la fine bouche. Ce fut pour lui, bien qu’il ne me connaisse pas, l’occasion de rattraper un peu sa brusquerie précédente en me félicitant pour mon examen rigoureux. Et, relativement au type de personne que je serais (en bref : un perfectionniste qui ne s’investit qu’à moitié dans mille choses par peur de l’échec d’une seule, un obsédé de la maîtrise par crainte du jugement des autres, et que le regard perturbateur de ceux-ci empêche de s’accomplir), le remède tomba, qui devait me convenir : le Mercurius Solubilis.

Deux ans plus tard, je crois m’être procuré la dosette de globules à trois ou quatre reprises et je suis bien en mal de vous dire si cela a eu un effet sur mes problèmes de santé ou une influence sur mes obsessions de maîtrise.

Le corps et l’esprit – 4

13 mai 2018

Voici le constat : au troisième et dernier jour des redoutés Saints de Glace (Mamert, Pancrace, Servais), la pluie s’abat, et le vent l’accompagne, qui fait s’envoler au loin une grosse dizaine de degrés Celsius. Qui a déjà repiqué ses plants de tomates en plein champ n’a que ce qu’il mérite…

Pourtant hier et avant-hier, tout jours Saints de Glace qu’ils étaient également, n’ont pas brillé par leur climat extrême. Et que dire de demain, où l’on nous annonce peu ou prou la même chose qu’aujourd’hui ? Qu’on n’est pas à un jour près ? Que c’est plus imagé de personnifier la période, plutôt que de dire banalement qu’en général, jusqu’à mi-mai, la chaleur n’est pas garantie ? Va pour les images, moi j’aime ça.

J’aime le rêve, les histoires, les fantasmes, passionnément. Et je les prends très au sérieux. Car l’on se heurte régulièrement à la matérialité des choses, elle oppose des obstacles à nos actes et notre compréhension bute encore sur bien des phénomènes physiques. L’imaginaire a le pouvoir de nous affranchir du carcan de la matière, c’est une chance à ne pas délaisser, pour peu que l’on ait appris à la saisir, et que l’on ne s’y perde pas tout à fait, que l’on se garde de toute défiance envers la science. L’humanité fait à ce titre les frais des religions, principalement monothéistes, depuis des millénaires, et ça ne semble pas parti pour s’arrêter, l’intégrisme ayant encore le vent bien en poupe.

Diverses croyances moins répandues, plus ou moins dogmatiques, mais moins influentes, irriguent la société contemporaine. Dans le milieu agro-écolo-alternatif, il s’agit de l’influence de la lune et des autres astres sur le monde vivant qui peuple notre planète, et des théories biodynamiques et homéopathiques. Cette dernière étant la plus connue puisque son succès en fait aujourd’hui une pratique médicinale (ou prétendue telle) choisie dans de nombreux foyers. On évoque pourtant fréquemment à son sujet une efficacité qui ne serait due, si elle s’avérait incontestable dans certains cas, qu’à l’effet placebo.

J’ai grandi, soigné en partie aux granules homéopathiques par des parents qui avaient pris leurs distances avec les religions de leurs propres parents. J’évolue dans un milieu où, même quand l’on n’adhère pas complètement aux préceptes de la biodynamie ou qu’on les connaît mal, le respect pour ses méthodes est prégnant, leur pratique reste une éventualité. Et cela même de la part de personnes, en leur grande majorité, je le crois, non affiliées à une religion dominante. Or les méthodes biodynamiques (inspirées en partie par les principes de l’homéopathie) sont l’application agricole des préceptes de l’anthroposophie, et l’anthroposophie est une religion, avec ses dogmes, ses croyants, ses fondations chrétiennes et ses pratiques irrationnelles… Mais c’est une religion qui ne dit pas son nom, qui, se présentant plutôt comme un mouvement de pensée, diffuse efficacement certaines de ses prescriptions via toute une communauté de sympathisants plus ou moins renseignés, notamment paysans ou militants écolos. Par ailleurs le mouvement biodynamique fut parmi les pionniers (si ce n’est le pionnier) de l’agriculture biologique et cela a tout pour lui garantir une aura plus que positive dans le milieu. L’esprit communautaire joue également, exacerbé, je le crois, par le besoin de guides quand les deux grands pôles de croyance – scientifique et religieux monothéiste – se trouvent être aussi suspects l’un que l’autre pour nombre d’entre nous. Aussi le besoin de Croyance qui persiste chez la plupart sera formulé en quête de sens, et fera le succès du Sacré à la Rabhi, de l’idée d’une Terre Mère comme déesse païenne, des notions de (supra)sensible ou d’énergies pour expliquer tout ce qui nous dépasse, pour rêver ou se donner de l’espoir.

Une religiosité plus ou moins consciente s’épanouit en opposition au matérialisme, qui est pris en otage par le libéralisme économique… Et je crois pour ma part qu’on ne doit pas laisser la science et le matérialisme à l’idéologie capitaliste. Et j’affirme à la fois mon agnosticisme devant tous les mystères qui planent, encore irrésolus par la science, et parfois fruits de l’imagination fertile de certains. Et je confesse un usage jusqu’à aujourd’hui ponctuel de l’homéopathie pour me soigner et du calendrier lunaire au jardin, et cela même malgré les expériences souvent très soupçonnables de peu de méthode scientifique de ceux qui affirment sans ciller que ça marche. On ne dit pas merde à sa famille de cœur comme on gobe trois granules d’Arnica 9CH. D’ailleurs je ne sais pas bien dire merde aux gens, et je n’y vois, dans la plupart des cas, pas l’intérêt. Je convierais plutôt ici qui veut bien m’écouter à une quête de non-sens, soit d’acceptation de la part d’incongruité qu’il y a à vivre (pour chaque être, à titre personnel)… Acceptation qui permet de mieux vivre cette absurdité, sans trop de prédispositions à se faire manipuler, et sans pour autant que l’absence de Sens unique n’empêche de se donner des buts sensés. Enfin, pour le plaisir des images, et sans volonté d’objectivité, je plaiderais la distance nécessaire avec le matérialisme par l’humour (nonsense), et la musique comme tissu socio-écologique des êtres et des choses (recherche d’harmonie).