Moi, citoyen – 22

24 août 2018

C’est une question, celle de l’autarcie, qui m’arrive fréquemment aux oreilles en ces temps d’accueil à la ferme. Est-ce qu’ici l’on vit en autarcie ? Entendons : ce serait fascinant, excitant… voire inspirant ! Ah bon ?

Fascinant, ce fantasme usé qui n’attendait, pour se réinventer, que le déclin des services publics et de la qualité des produits, sur fond de libéralisme économique toujours plus destructeur ?

Excitante, cette idée d’extrême droite qu’on mâchouille parfois ad nauseam entre écolos-gauchos à la vue courte et permaculturo-gagas au jusqu’au-boutisme aussi conceptuel que déraisonnable ?

Inspirante ? Sans doute… Pour les survivalistes qui se préparent à l’apocalypse en héros individualistes à la sauce hollywoodienne bas de gamme !

Pour ma part, j’ai beau avoir peur de me frotter aux autres trop souvent, j’ai bien conscience de ce que je dois à ceux et celles, très nombreux-ses, qui ont participé à faire de moi ce que je suis et à faire que j’en suis où ça me plaît d’être ; j’ai beau constater le creusement des inégalités et la mainmise des lobbies privés sur la politique, j’ai envie de vivre dans la confiance. Aussi brocardé-je quand je le peux cette nostalgie mal éclairée d’une tradition paysanne perdue pas si reluisante. C’est, me semble-t-il, en partageant biens, services et connaissances avec nos voisins et les cousins lointains des voisins de nos copains que l’on tiendra éloigné le spectre du fascisme. Et, plutôt qu’en s’acharnant (en vain) à faire tout soi-même (plus ou moins bien), c’est en appréciant le bon pain du bon boulanger et en soutenant le paysan qui offre à ses vaches de bien beaux prés qu’on se donne en partie les moyens collectivement de réinjecter de l’espoir en l’avenir…

Moi, citoyen – 14

23 avril 2018

Quand il me semble voir la droite s’exprimer chez certains écolos qui se disent de gauche…

Individualisme par la focalisation sur l’idée d’autarcie, de vivre sans dépendre de personne d’autre (et au besoin, d’accumuler les outils pour satisfaire cela) ; par l’engagement auprès d’idées plus vertes seulement après avoir fait des enfants ; par le désengagement de la chose politique par défiance envers tout pouvoir qui corrompt, tout en abusant soi-même de pouvoirs, en laissant faire cela autour de soi ; par l’exhortation envers certains à (bien vouloir) se prendre en main pour pouvoir s’échapper du système ; par la fascination pour qui sait ou qui a su dépasser ses limites, sans savoir s’il a pour cela respecté les besoins et limites des autres.

Reconnaissance du travail – et de son caractère idéologique – comme valeur, et comme principal moyen de se faire une idée sur quelqu’un, mais meilleur moyen en vérité de ne pas se donner la peine d’en apprendre véritablement sur la personne.

Religiosité par la sacralisation de la Vie, comme un nouveau culte (et Pierre Rabhi comme un nouveau pape) ; par le refuge dans l’une ou l’autre spiritualité ou croyance alternative quand la science ne résout pas tout et que son usage par une catégorie de personnes fait peur, quand la norme est porteuse de tant de dysfonctionnements plus ou moins dévastateurs.

Libéralisme par le vœu de liberté sans borne pour tous les animaux, plutôt que socialisme par les soins qui vont avec l’élevage.

Obsession du local (contre ce qui n’est pas « de pays ») qui, quoique bien intentionnée, séduit aussi les chauvins. Ils profiteront de ce parti-pris pour mieux cracher sur le bio, au prétexte qu’il vient parfois de loin.

… Qu’est-ce que tout ça raconte ?

Que rien n’est jamais bien tranché et qu’il ne faut sans doute pas se rêver trop purs… (que la pureté a peut-être quelque chose d’une idée de droite d’ailleurs) ?

Mais qu’il est bon également de croire en sa marge de progrès… (et que croire également en celle des autres – amis comme ennemis – est peut-être bien une idée de gauche à se permettre) ?

J’essaie d’être lucide sur la droite en moi, sur ce qu’il y a à changer et ce qu’il me faut accepter aussi comme traits de caractère. Aussi fais-je le petit effort désormais de considérer mes allers-retours entre repli sur soi et générosité comme une respiration nécessaire ; l’individualisme (pour ne pas dire égoïsme) et l’altruisme comme deux faces d’une même pièce ; le respect du premier, par périodes, comme nécessaire condition de réalisation du second sur le temps long ; l’écoute de ce rythme personnel, au fond, comme une chance de pérennisation de mon instinct de vie.