Mes rouages – 3

22 novembre 2018

J’ai du talent mais je suis fainéant.

J’ai des idées mais je suis timoré.

J’ai de la chance mais j’ai peur que ça s’arrête.

Je suis aimé et j’aimerais savoir mieux aimer.

Je suis armé pour l’existence, et pratique en l’occurrence une certaine non-violence.

Aussi j’avance sans bousculer grand chose, sans laisser grande empreinte. Aussi je vis petit, mais tant voient trop grand. Aussi je risque peu, mais ce peu est mieux que rien.

Je fais la boule au ventre ce qui semble anecdotique pour d’autres. J’avance, anxieux, sans brûler les étapes, et veillant à ne pas me consumer de l’intérieur.

Je quitte la ferme plusieurs mois pour une vie urbaine, à l’étranger et par des températures polaires. Je rejoins ma compagne en pleins questionnements, ce qui me regarde, forcément.

Je m’apprête à être bousculé sans savoir à quel point, sans savoir si je saurai y faire face, m’y adapter. Mais je m’y sens préparé.

Peinture verte – 1

16 novembre 2018

Je voyage en train « 100% éco » (écriture verte, lire écologie). Miracle de technologie, économe en énergie, il la produit par ailleurs sur place et en a même à revendre. Les matériaux de fabrication sont naturels, non traités et issus de filières courtes locales. Les toilettes sont sèches, évidemment.

Fini de rire. Je voyage en train dit « 100% éco » parce que j’ai, comme tous les autres passagers, acheté mon billet chez le dealer de bonne conscience sous étiquette dématérialisation : jouez hautbois, résonnez musettes, c’est internet ! (Qui veut gratter l’étiquette ?)

Avec les bêtes – 18

16 novembre 2018

Ils ont beau être chics – ou tout du moins cleans – de la tête aux pieds, c’est en ville, loin de la nature, que l’animalité des humains me semble la plus évidente : troupeau sans berger canalisé par les escalators et s’agglutinant dans la gare ferroviaire aux points de distribution de nourriture et aux radiateurs verticaux pour assouvir leurs instincts les plus élémentaires.

Comment dès lors s’étonner qu’en animaux d’élevage, ces humains-là n’en finissent plus de développer une forte empathie pour les autres bêtes élevées – le terme, certes impropre, serait à revoir -, elles, par les humains ? Et l’anthropomorphisme d’aller bon train, terreau d’une doctrine de notre époque, le véganisme, coupée d’une partie progressiste du réel – l’agroécologie paysanne – qui est à l’écoute de la nature des bêtes et qui, si la société s’articulait autour de ses pratiques, serait générateur de libération humaine (au moins un peu).

Motifs d’émotion – 10

15 novembre 2018

Derniers grognements de sangliers dans la nuit.

Dernières gorgées d’eau non traitée.

Dernières vieilles pierres.

Dernières vallées embrumées.

Un ami m’a écrit « On dirait que tu pars 10 ans » quand j’évoquais, pourtant laconiquement, l’ampleur de ce qu’il y avait à régler avant le départ. 10 ans, 100 ans, 1000 ans ou quelques mois… Y a-t-il une différence notable alors que je me fais sédentaire justement depuis 10 ans ?

Le paysan est celui qui reste au pays. Qui je deviens aujourd’hui ? (Et puisque visiblement je ne le saurai que plus tard, comment je m’assume pour le moment ?)

Ma vie d’élu – 11

13 novembre 2018

La lettre fut maturée pendant des mois… Et je l’envoyai quand mon départ se fit imminent – au maire, avec ma démission, puis aux conseillers quelques jours plus tard.

Bonjour à tous.

 Après mûre réflexion, je viens d’envoyer ma démission du conseil municipal [au maire].

 Le temps qui manque est une des raisons qui me font quitter le conseil. Et si ce n’est pas toujours le temps matériel, c’est tout au moins la disponibilité d’esprit. Je n’ai jamais pu me faire à l’idée de n’être investi qu’à moitié (ou beaucoup moins). Je ne veux plus m’y résigner.

 Ce peu d’investissement est dû aussi à ce que ma grande appréhension des rapports humains m’a rendu difficile le contact avec vous tous dans des réunions souvent surchargées, parfois cacophoniques.

Mais les principaux motifs de cette décision concernent ma vie privée.

 Je m’absente par ailleurs au Québec avec [mon épouse] de mi-novembre à avril pour des raisons familiales et personnelles et je trouve que ce ne serait pas honnête vis-à-vis des électeurs d’être absent de mon poste aussi longtemps (et cela d’autant que j’ai déjà raté trois conseils municipaux consécutifs cette année). Et d’autant plus, qu’à mon retour, j’aurai beaucoup de travail à rattraper sur ma ferme.

 Néanmoins, je signale sans rancune que comme personne ne s’est inquiété de mon absence à la réunion de juin alors que je n’avais pas donné signe de vie (pour rappel, je n’ai pas reçu la convocation), j’en ai tout naturellement déduit, en cohérence avec ce que j’écrivais plus haut, que je ne manquais à personne, que mon absence était « naturelle »…

 Je vous souhaite bon courage pour la suite et félicite chacun pour son travail passé et celui à venir. Je regrette pour ma part la trop grande hiérarchie et le manque d’écoute qui règnent dans l’organisation et les échanges au conseil, les réunions trop chargées, les ordres du jour laconiques et non documentés, mes nombreux messages restés sans réponse… Mais je conviens que je n’ai rien fait (ou que peu) pour faire entendre mon point de vue sur ces questions. Je n’ai donc rien à vous reprocher. Cela alimente juste le constat que ma place n’est pas là.

 Par contre je ne regrette pas l’expérience, ni de vous avoir (un tout petit peu) mieux connus.

 Je me permets de transmettre la charge des relations avec Orange (fossoyeur de notre réseau téléphonique, si on laisse faire les choses) [au deuxième adjoint], qui a déjà traité plusieurs dossiers sur la question avec moi. […] Quant au sujet des télécommunications, internet compris, il me semble être des plus cruciaux qui soient (plus même que les routes, qui elles sont déjà là et en bon état général) et je fais le souhait qu’il reste dans les priorités de votre équipe.

Pour ma part, je continuerai, dès mon retour du Québec, à être membre du Collectif Téléphone Internet [local] qui fait un travail nécessaire, et je ferai volontiers le lien avec le conseil municipal (par ailleurs, je reste à votre disposition en cas de question sur le sujet ou d’un quelconque besoin d’aide : selon moi, une politique municipale digne de ce nom devrait pouvoir impliquer ses citoyens, selon leur temps disponible et leurs capacités). […]

 Avec mon départ, je laisse aussi une place à prendre au sein de la commission Ruralité-Agriculture de l’Agglo. J’espère que l’un-e d’entre vous s’en saisira car il me semble que c’est encore l’un des endroits où l’on peut trouver certains leviers d’action…

 […]

 Je vous souhaite à tous une fin de mandat la plus intéressante et constructive possible.

 

En nature – 8

10 novembre 2018

C’est ce qu’à l’inverse d’une plantation d’arbres rectiligne, on appelle une forêt.

C’est une forêt, certes, qui de loin fait des paysages bien monotones. C’est une forêt faite d’une essence – le pin maritime – qui acidifie les sols. C’est une forêt vulnérable aux incendies. C’est un vestige malheureux de l’époque des mines de charbon qui, alliées à la déprise agricole, ont favorisé la colonisation des montagnes par ce résineux – qui était planté pour élaborer le soutènement des galeries.

Mais c’est une forêt, et sous les houppiers haut perchés des pins, poussent, vivent, vivotent, attendent leur heure, selon les endroits et la luminosité (l’âge des pins), un peu d’herbe, des bruyères, des cades, des fougères, des filaires, des arbousiers, des chênes, des châtaigniers…

C’est une forêt que j’aime arpenter en automne, à la recherche de champignons. À ces occasions, la pluie n’est pas désagréable, une chute de grêle est une vraie bonne surprise et le soleil qui pointe après dessine un moment de grâce. Et même quand le temps reste à la pluie des jours durant, l’on peut jouir du contraste forestier des troncs des pins, noirs d’humidité, et des feuilles jaune vif des petits châtaigniers, sur fond rouge ocre de tapis d’aiguilles et de fougères en fin de vie. Le vert des houppiers en arrière-plan semble être tout revigoré à son tour de cette association chromatique opportune.

Plantes, compagnes – 8

3 novembre 2018

Celles qui sentent bon, quand on leur taille dedans à coups de débroussailleuse. Celles qui par leur odeur, font un court instant de la tâche pénible qu’est le débroussaillement dans la jungle de ronces, bruyères arborescentes, fougères, filaires, houx, érables de Montpellier, un plaisir.

Le thym serpolet.

La menthe sauvage nepita.

Activités du moment – 9

1er novembre 2018

Passer un coup au congélateur les réserves de nourriture sèche (en bocaux) pour ne pas les retrouver claffies de mites au retour.

Manger des châtaignes, essentiellement crues, c’est bien meilleur. Et en marchant dans les bois, c’est bien le plus pratique.

S’attrister du résultat fort décevant de mon essai de radis lacto-fermenté et de la quantité importante qui en a été préparée.

Écouter Les pieds sur Terre en empotant des confitures de mûres, de figues, de pêches de vigne, de courges avec des écorces d’oranges. Écouter La dispute en enlevant la peau gluante du chapeau des bolets, avant d’en faire des conserves.

Jouir des premiers contrastes de l’automne, en revenant du travail, entre le temps cru du dehors et la franche chaleur des premières flambées au-dedans.

Montrer aux gardiens les choses qu’ils auront à surveiller et à faire en cas de problème. S’échiner à leur laisser en complément des instructions écrites les plus claires possibles.

Se faire à l’idée que je ne pourrai pas plus avancer le débroussaillement cette année.

Faire les démarches de clôture de mon activité agricole. Frémir à l’idée que pour une raison ou une autre, par le biais d’un obscur diktat administratif, on me refuse l’an prochain le droit de la reprendre.

Voir passer, non sans appréhension, le jour où j’aurais dû, en temps normal, prendre la route pour Paris et sa grosse foire bio. M’échiner à ne pas penser à l’argent qui n’y sera pas gagné cette année, à ce que ça pourrait amener comme difficultés en cas de mauvaise gestion ou de coup dur.

Faire du bois pour que les gardiens puissent mettre la maison en chauffe si un épisode de fort gel le nécessite. Brûler, déjà, une partie de ce bois pour me chauffer. Râler, forcément, de devoir en refaire alors.

Tenter de pallier à des ponts thermiques extrêmes dans les parois de la maison avec des empilements de ballots de paille.

Déplorer que ma chatte, au contact des chats des gardiens, apprenne à miauler pour réclamer quelque chose.

Jouir de la solitude, du rythme d’activité quasi entièrement maîtrisé puis, un instant plus tard, me trouver bien esseulé, privé des échanges du quotidien avec ma compagne – qui expérimente la vie citadine nord-américaine depuis quelques semaines déjà.

Motifs d’émotion – 9

31 octobre 2018

Quoi de meilleur que de se trouver à l’abri quand il pleut ? Il y a une certaine jouissance, même, pour dire vrai, à évoluer sous les gouttes, bien enrobé de pantalon, bottes et veste à capuche imperméables, et le chauffage domestique de l’organisme calé sur le bon thermostat.

La félicité est malheureusement éphémère quand un micro accroc dans le pantalon à un fil barbelé permet à l’eau d’infiltrer considérablement notre si précieuse forteresse.

Ainsi en va-t-il également de ma manière d’appréhender la vie. Que je me sente protégé, rassuré par de solides repères, et le monde pourra bien tanguer tout autour… Mais qu’un petit souci personnel vienne faire une entaille dans le sentiment de sécurité, et bien vite, à ce que mon quotidien se trouve ainsi gagné par l’infiltration des peurs en tout genre, il se peut que mon moral se désagrège comme un petit beurre dans une tasse de thé.

Mes rouages – 2

28 octobre 2018

Handicapé par ma hantise du regard d’autrui, je ne sais guère me donner les moyens de construire. Je ne veux pas déranger, mais cherche tout de même à séduire quand je m’enhardis un peu. Je tente timidement de mettre en avant idées, informations et talent, idées et informations avec talent…

Mal à l’aise de me mettre en lumière, il m’est de prime importance qu’on croie la chose involontaire ou désintéressée, et de fait, par ce biais, j’en viens probablement à échouer régulièrement à me faire remarquer.

Sans doute, je supporte la situation parce que je suis exposé aux gens dans mon activité de paysan-accueillant, qu’une importante reconnaissance se fait là, sur la base d’attractivité de la ferme, construction de mes parents. Et sans doute, je tolère ce bénéfice, qui est le résultat d’un malentendu heureusement partiel (tout de même, moi aussi je construis un peu, je fais évoluer l’affaire), parce que j’entretiens à côté de cela mon objectif de séduction au long cours qui, ne produisant qu’un résultat confidentiel (rares retours sur mon expression), me conforte néanmoins dans la démarche, et qui plus est, petit à petit, semble esquisser une œuvre, soit tout de même une construction.

Le temps est mon allié, et à mesure que je m’enracine, je gagne en confiance. Tout semble cependant toujours à la merci d’un bouleversement, puisque cela repose au quotidien sur l’amour de ma compagne, terreau premier à quelque estime de soi éminemment nécessaire à mes modestes et folles ambitions de créature terrestre à peu près sociable.

À table ! – 5

28 octobre 2018

Petit calendrier incomplet de mes pets :

Hiver : pets de choux – on élimine ou réduit considérablement l’effet ballonnant en les consommant lactofermentés – ; pets de topinambours – potentiellement dévastateurs, consommation très exceptionnelle et avec méthode.

Printemps : pets de cerises – 7 à 9 sur l’échelle de Sokolov suivant la maturité des fruits, dont la fermentation est chez moi le plus gros gage de puanteur.

Été : pets d’oignons – qu’on utilise allègrement dans la cuisine pour les hôtes, mais dont j’ai réduit considérablement la consommation le reste du temps.

Automne : pets de châtaignes – nombreux, sans caractéristiques particulières ; pets de raisin – moins malodorants que la fermentation intestinale de la cerise.

Toutes saisons : pets de pâté végétal aux champignons sauvages – peuvent monter à 9 sur l’échelle de Sokolov suivant les individus – ; pets de légumineuses – nombreux.

Le corps et l’esprit – 5

28 octobre 2018

Pourquoi le nier, j’aime péter. Rien de honteux à avouer que ça fait du bien par où ça passe. Tant mieux pour moi, qui suis sujet aux flatulences, semble-t-il, plus que le commun des mortels. On me rétorquera alors que je ne suis pas le seul concerné par ces gaz d’échappement et que chercher à les limiter serait une preuve de considération pour mes contemporains. Si je me permets d’aborder ici le sujet, c’est bien justement parce que j’aimerais exprimer qu’il y a selon moi des choses éminemment plus cruciales à faire par quiconque affirme se soucier du bien-être de ses semblables.

Certes, il faut en toute chose de la mesure, et je n’impose inconsidérément pas mes émanations anales à ceux que ça bouleverserait trop (par ailleurs le corps se discipline de lui-même quand parfois je me trouve à passer un moment avec des gens, et les pets, que je n’ai même pas eu à refouler – rien de plus désagréable -, se manifestent seulement après coup), mais qui n’est pas trop borné conviendra tout de même avec moi, je l’espère, que bien des odeurs fortes et persistantes sont autrement plus dérangeantes que le fumet vite dissipé d’un pet qui pue. Par ailleurs, celle ou celui qui ne produit que des gaz malodorants est je crois une personne malade qui devrait sans doute modifier sa manière de s’alimenter. Les pets de la plupart des gens naviguent selon les jours, le moral et la nourriture, entre 1 et 10 sur l’échelle de Sokolov (inspirée du personnage de Gainsbourg, et qui mesure la puanteur alors que, soit dit en passant, si l’on se fie au contenu du roman, elle devrait plutôt rendre compte de la force vibratoire), et ne sont bien souvent que le résultat anodin et inodore du travail efficace des bonnes bactéries de notre intestin. Quand on juge qu’ils puent trop, on peut ouvrir une fenêtre – ce qui est au passage le meilleur assainissant de l’air qui existe !

Restent les bruitages qu’on peut tout de même difficilement qualifier de pollution sonore quand on voit ce qui est subi en la matière un peu partout. Restent les bruitages, donc, appelés sciemment ainsi tant il y a de possibilités de variations selon la position, la taille de la poche de gaz et le séant de la personne concernée, et dont il serait dommage, je trouve, de ne pas s’amuser. Qui choisit de s’en désintéresser a néanmoins toute ma considération. Il n’y a juste pas de quoi s’offusquer que notre nature d’animaux se rappelle à nous aussi par le cul, cette partie de notre corps que l’on ne voudrait dévouée qu’à l’érotisme et à la séduction. Ce n’est pourtant pas incompatible, puisqu’on sait bien qu’en la matière la première chose à faire est de s’assumer.

Productif, improductif – 2

24 octobre 2018

Il y a dans le milieu de la permaculture, auquel le couple qui va garder le domaine se revendique une affiliation, cet aspect qui me pousse à ne regarder ça que de loin : la culture du miracle – plus affirmée qu’ailleurs me semble-t-il. Tel praticien aurait des résultats extraordinaires, telle méthode serait gage de réussite sans se fatiguer…

Pourtant la permaculture – comme l’agro-écologie paysanne – prône le cas par cas et l’attention à son environnement (proche comme lointain) en préambule au choix de ses méthodes et actions. La sagesse de ses théories qui en appellent à un humain connecté au monde pour mieux s’organiser, dans le respect des autres et de la nature, en fait en quelque sorte le programme alternatif parfait au productivisme libéral mondialisé.

Dès lors, puisque tous les signaux écologiques sont au rouge et que le greenwashing généralisé masque bien mal l’absence de volonté des gouvernements comme des entrepreneurs influents, il est fort tentant de se réfugier dans l’idée d’une alternative absolue. Il ne s’agit là pas d’y réfléchir mais, dans l’urgence, d’abord d’y croire.

Voilà que naît, malgré elle peut-être – qui est théorisée depuis plusieurs décennies déjà -, une nouvelle religion, avec ses dogmes (la culture sur buttes, retenue presque constamment…) et les miracles qui galvanisent les fidèles (la productivité accrue, le moindre effort…). Dommage pour les nuances, et surtout pour l’idée primordiale qu’il n’y a pas une situation équivalente à une autre. In fine, dans tout cela, la mise en pratique et surtout sa réussite semblent accessoires, seul comptant le fait d’avancer conjointement à une communauté de croyants.

Si le scepticisme dont je fais preuve ici me met un peu mal à l’aise (encore une fois, il y a je crois beaucoup à tirer des idées permaculturelles, et certains praticiens sont sans doute lucides et constructifs), je dois avouer que les gardiens du lieu n’en sont pas les meilleurs promoteurs a priori et, de fait, m’ont plus aidé à mettre au clair l’origine de mes doutes sur la doctrine qu’à me sensibiliser aux pratiques judicieuses qu’elle propose. En effet, je fus pour le moins surpris de ne les voir aucunement arpenter les lieux, quand, la première semaine après leur arrivée, je les laissais prendre leurs marques, trop occupé à certaines tâches que j’étais pour commencer le tour d’horizon du gardiennage à venir. Et s’ils se promènent désormais un petit peu aux alentours, je les découvre surtout, à chaque visite que je fais dans le logement mis à leur disposition, le nez rivé à un écran. Un même autel aujourd’hui pour combien de religions ?

Productif, improductif – 1

24 octobre 2018

Procrastiner, d’accord – qui ne remet pas à demain de temps en temps ce qui l’emmerde aujourd’hui ? -, mais cessons de jeter l’opprobre sur ceux qui le font franchement, honnêtement, frontalement : en glandant. Les autres, dont je suis (dont j’ai fini par faire partie par la force des choses, pour être plus exact), sont actifs, trouvent toujours à faire pour ne pas faire ce qui peut attendre mais qui est bien plus important…

À l’heure des préparatifs pour mon départ, je ne peux que constater – par l’écriture même de ces quelques lignes – cette lâcheté productive qui m’habite (tout en cherchant le salut dans un visionnage de film quasi quotidien).

Le pays – 15

23 octobre 2018

En terme de champignons, le cévenol ne jure peu ou prou que par le cèpe. Tous les autres spécimens de bolets sont pour lui des bombacabres (ce qui n’est bon qu’à être dégommé par les chèvres). Le reste, à l’exception peut-être des girolles, n’existe pour ainsi dire pas. Autant dire que la concurrence est limitée quand, comme moi, l’on ramasse tout ce que l’on sait simplement comestible pour faire du pâté végétal (et qu’on n’a peu de cèpes autour de chez soi). Ce qui ne lassera pas de m’étonner, c’est le peu d’intérêt pour les lépiotes, que personnellement j’estime au plus haut point. Plus fines au palais que les cèpes et pas glutineuses, elles emportent le morceau haut la main, mais je me garde bien de vouloir en convaincre le plus grand nombre quand j’ai l’opportunité d’en cueillir par dizaines dans des coins pourtant fréquentés.

Notons tout de même avec une pointe de dépit que celles qui ont, selon les canons en vigueur, tout pour séduire quand on les croise – taille fine et grand chapeau élégant – s’avèrent décevantes finalement par le poids qu’elles ont à offrir une fois le pied fibreux enlevé (que pour ma part je sèche et réduis en une poudre fort parfumée pour mon pâté). Leur grande classe ne survit pas à la cuisson, et c’est peut-être à force de laisser des estomacs frustrés que les belles ont perdu la renommée et l’attractivité que les livres de mycologie lui prêtent.