Riche ! – 5

7 mai 2018

Impôts et redistribution me semblent, sur le postulat, plus garants d’équité que loto et fondations. Reste qu’il y a des jours où, le nez dans ses affaires, on se dit que s’il y a plus nécessiteux ailleurs, un petit pactole tombé du ciel ici ne serait assurément pas gaspillé en superflu, ne servirait vraiment aucun objectif capricieux, aurait sans doute in fine toute vertu contre les insomnies de ma compagne et mes reflux gastro-œsophagiens…

On se prend à rêver de remise en état et aux normes des canalisations, d’un bassin de rétention, d’un forage, d’une phyto-épuration, d’abris à bois mieux pensés-placés, d’un mur digne de ce nom à la cave, d’un circuit de chauffage vraiment au point, d’un conduit de cheminée plus sécuritaire, de meilleure isolation, d’un nouveau plafond ici, d’un nouveau toit là, de panneaux solaires, d’un vélo à assistance électrique et du temps pour l’utiliser à la place de la voiture… Et de clôtures remises à neuf un peu partout, et les murettes itou, et de débroussaillement plus assidu, et d’entretien des chemins plus à jour… Des employés, quoi ! Et un tracteur, pourquoi pas ? Et un poêle dans le bureau-internet et logement des vovos, des toilettes sèches (aux normes) et de meilleurs oreillers dans les chambres d’hôtes, un autoclave et l’atelier de transformation digne de ce nom qui va autour, un stand et du matériel de foire entièrement revus et corrigés… Et un beau site internet, des flyers revisités, des étiquettes de confitures autocollantes… Et des rapports faciles avec les gens, de l’écoute, de la bienveillance… Et la santé, hein… surtout la santé ! Euh, je m’égare (si ce n’était le cas déjà par ce fantasme même de fortune opportune).

Riche ! – 4

25 mai 2017

Mais gardons une once d’amour-propre, et la tête froide : ma richesse en est une qui, contrairement à celle liée à la monnaie (néfaste pour les écosystèmes, éventuellement pour l’économie), ne fait de tort à personne. Et même bien au contraire, puisque d’autres que moi ont le loisir d’en profiter périodiquement (vacanciers, famille, amis, voyageurs volontaires sur les fermes bio…) en demeurant un moment sur le lieu. C’est une médaille qui a son revers dans la somme de travail exigée ou – parce qu’il y a encore bien pire ailleurs à ce propos – aux risques pour l’avenir que fait notamment courir au lieu une possible restriction de l’accès à l’eau par les autorités compétentes. Lieu et activités sont intimement liés, et liés à cela, et ma vie ici aussi naturellement. Et les projets d’avenir également, cela compliquant toute hypothèse d’association avec quelqu’un pour agrandissement, contagion de la beauté, de la verdure, de l’humus porteur de vie aux environs, et relative diversification des activités dans un objectif de complémentarité et de partage au quotidien. Chose dont j’ai besoin, même si l’idée de partager mon grand terrain de jeu et de rêveries avec d’autres a tout pour me terroriser (et ma terreur de se satisfaire quelque part des barrières dressées devant le changement).

Riche ! – 3

21 mai 2017

Rendons justice au travail et à la volonté parentale – parents qui, eux, ont mangé de la vache enragée. Rendons à mon caractère ce qui lui appartient, qui me ferait craindre tout autant, ou même plus, la chute, la perte, la déchéance, si je n’étais riche que de peu de choses. Rendons à la situation sa particularité : je vis et, ce qui compte le plus, tire prestige de quelque chose que je n’ai pas créé.

Riche ! – 2

20 mai 2017

De ce qu’avaient mes parents à leurs débuts ici – des pins, des cailloux, une ruine, de l’herbe sèche – il n’y avait guère possibilité que d’amélioration. Pauvres, ils étaient riches de possibilités. Rien à perdre, tout à construire. Et ce qu’ils ont construit, ma richesse d’aujourd’hui, rend les possibilités d’amélioration plus subtiles et le risque de perdre quelque chose plus évident. Avoir à perdre rend peureux, et la peur qui se fait dominante appauvrit l’esprit. Je lutte contre, mais ne suis pas tous les jours à la hauteur.

Riche ! – 1

13 mai 2017

Faut dire que je suis riche. Riche de vrais trucs. Comme une compagne aimante, de la famille attentionnée, une poignée d’amis sur qui je pense pouvoir compter… Et puis cet héritage : ce lieu sur lequel je vis et gagne ma vie, cet écrin de verdure, de biodiversité, propice à l’émerveillement renouvelé et à l’exposition à titre de réalisation exemplaire. De tout ça je suis riche. Et moi qui voudrais un monde un peu plus équitable, moi cette richesse me pèse. C’en est trop pour un comme moi. Pour un si peu aventurier, si peu entreprenant. Je ne m’en sens pas complètement digne, et c’est lourd. Et je m’échappe de l’évidence qu’il faudrait que ça change en m’abîmant dans ce qui me semble le plus à ma portée : l’entretien de ce qui existe… et cause mon trouble. C’est un problème de riche. Vous avez le droit de ne pas me plaindre.