Mes rouages – 4

23 mars 2019

Je suis aujourd’hui, en ville, dans une frustration de solitude que je n’avais peut-être jamais atteinte auparavant. Le regard des autres est pour moi un poids très important que je ne peux supporter qu’en m’octroyant à côté un temps conséquent d’absolue solitude, de tranquillité sans contrainte, soit dans le cadre de mon quotidien et loin des tâches importantes.

C’est un besoin très contraignant, et s’il n’est pas parfaitement comblé sur la ferme, je m’y accommode tout de même pas mal du temps passé seul à des tâches extérieures peu coercitives – et des pauses que je peux y prendre –, des escapades de ma compagne chez des médecins en ville, de nos différents rythmes de vie qui me laissent du temps dans la maison également…

Ici, notre appartement est trop petit pour que la présence de ma compagne ne soit pas un poids, et ce poids n’est pas vraiment allégé par mes temps de présence à l’atelier, où il y a presque toujours quelqu’un d’autre, et où, quoi qu’il en soit, je ne me sens pas à l’aise comme chez moi. C’est dans la rue, le temps de m’y rendre et d’en revenir, ou lors de quelques escapades, que je suis le plus seul : c’est là qu’il m’est le plus facile de faire abstraction des autres, que je ne connais pas et desquels par conséquent je n’ai pas à interroger l’attente vis-à-vis de moi (le fond de mon problème sans doute). Mais il fait froid dans la rue, j’y marche vite, je ne m’y attarde pas… et, encore une fois, je ne m’y sens pas chez moi.

Le printemps arrivant tout doucement, peut-être pourrai-je prochainement y respirer un peu plus (j’y flâne déjà un peu, les jours où il ne gèle pas). Reste que ça ne suffira pas, et que j’ai grand hâte, sur la question, de retrouver mon refuge cévenol !

Je m’amuse parfois à me demander lequel je préfèrerais d’un monde où je serais absolument seul et d’un monde où au contraire toute solitude me serait refusée. Il est pourtant évident que ma crainte des autres est le corollaire au fait que je me sens avant tout vivant via leur regard. En témoigne ce besoin, semble-t-il impérieux, de donner à lire sur mon quotidien et mes cogitations…

Mes rouages – 3

22 novembre 2018

J’ai du talent mais je suis fainéant.

J’ai des idées mais je suis timoré.

J’ai de la chance mais j’ai peur que ça s’arrête.

Je suis aimé et j’aimerais savoir mieux aimer.

Je suis armé pour l’existence, et pratique en l’occurrence une certaine non-violence.

Aussi j’avance sans bousculer grand chose, sans laisser grande empreinte. Aussi je vis petit, mais tant voient trop grand. Aussi je risque peu, mais ce peu est mieux que rien.

Je fais la boule au ventre ce qui semble anecdotique pour d’autres. J’avance, anxieux, sans brûler les étapes, et veillant à ne pas me consumer de l’intérieur.

Je quitte la ferme plusieurs mois pour une vie urbaine, à l’étranger et par des températures polaires. Je rejoins ma compagne en pleins questionnements, ce qui me regarde, forcément.

Je m’apprête à être bousculé sans savoir à quel point, sans savoir si je saurai y faire face, m’y adapter. Mais je m’y sens préparé.

Mes rouages – 2

28 octobre 2018

Handicapé par ma hantise du regard d’autrui, je ne sais guère me donner les moyens de construire. Je ne veux pas déranger, mais cherche tout de même à séduire quand je m’enhardis un peu. Je tente timidement de mettre en avant idées, informations et talent, idées et informations avec talent…

Mal à l’aise de me mettre en lumière, il m’est de prime importance qu’on croie la chose involontaire ou désintéressée, et de fait, par ce biais, j’en viens probablement à échouer régulièrement à me faire remarquer.

Sans doute, je supporte la situation parce que je suis exposé aux gens dans mon activité de paysan-accueillant, qu’une importante reconnaissance se fait là, sur la base d’attractivité de la ferme, construction de mes parents. Et sans doute, je tolère ce bénéfice, qui est le résultat d’un malentendu heureusement partiel (tout de même, moi aussi je construis un peu, je fais évoluer l’affaire), parce que j’entretiens à côté de cela mon objectif de séduction au long cours qui, ne produisant qu’un résultat confidentiel (rares retours sur mon expression), me conforte néanmoins dans la démarche, et qui plus est, petit à petit, semble esquisser une œuvre, soit tout de même une construction.

Le temps est mon allié, et à mesure que je m’enracine, je gagne en confiance. Tout semble cependant toujours à la merci d’un bouleversement, puisque cela repose au quotidien sur l’amour de ma compagne, terreau premier à quelque estime de soi éminemment nécessaire à mes modestes et folles ambitions de créature terrestre à peu près sociable.

Mes rouages – 1

2 juillet 2018

Pas toujours facile à suivre, la politique du minimum efficient qui est mon système de fonctionnement. Elle me fera peu m’investir, faire peu d’efforts ou pas longtemps, toujours arrêté par la crainte que ce soit trop peu rentable (pour moi ou les autres), pas assez utile… Je ne donne volontiers de ma personne que quand je suis sûr du résultat, quand j’ai déjà expérimenté la démarche. Mais pour conjurer cette timidité, je multiplie les objectifs, je diversifie au maximum les engagements et les intérêts, et j’en paie le prix quand ma tête déborde et que ma conscience m’alerte sur la relative vanité de la chose.

Cela dit, c’est ainsi que par petites touches je me construis, que je tâtonne pour petit à petit me perfectionner un peu en tout, pour finir par mine de rien gagner en savoir et développer quelques savoir-faire. Me faut-il dès lors me plaindre de n’être véritablement spécialiste de rien ? De n’être qu’un élu superficiel, un adhérent dispersé, un citoyen renfermé ?… De ne savoir que me rêver naturaliste, ou activiste ?… De n’être pas un paysan à plein temps, viscéralement, pas un jardinier passionné, pas un éleveur attaché, pas un cuisinier obnubilé ?… De n’être ni un intello manifeste ni un manuel affirmé ?… D’être un créateur à la va comme je te pousse ?… Et pas même un cinéphile ou bédéphile accompli ?…

Sans doute il ne me faut pas m’en plaindre, et certainement cela n’empêche pas de chercher à progresser, et d’essayer de faire différemment.