Ma vie d’élu – 13

14 décembre 2018

Le deuxième adjoint au maire, comme la première adjointe et une autre conseillère municipale, m’a écrit regretter mon départ. Au cours de deux ou trois échanges par courriel il en a profité pour faire état de ce qui selon lui dysfonctionnait dans la manière de faire du maire. J’ai ainsi découvert une vision critique qui rejoignait la mienne sur certains points, mais je ne restai pas sur le regret qu’un dialogue entre nous ne s’installe que trop tard sur ce point : trop de choses nous séparent sur d’autres, et si je suis à même de faire la part des choses entre certains penchants très droitiers de cet homme et sa volonté réelle de servir sa communauté du mieux qu’il le peut, je ne pense pas que j’aurais su travailler avec lui en toute sérénité.

Je le regrette assurément, mais ne désespère pas que certains y arrivent dans d’autres petites communes où, outre les divergences de points de vue sur des sujets particuliers, les colistiers n’ont même pas de vision sociétale partagée pour les réunir. Sans doute est-il possible de se satisfaire d’une défense commune des intérêts de la collectivité locale, mais il me semble malheureusement que ceux qui ont cette vision en ligne de mire ne s’aventurent guère à imaginer l’inscription de cette localité qu’ils chérissent dans un environnement social, économique et écologique plus vaste. Ce que, naturellement, j’ambitionnais pour ma part.

Ma vie d’élu – 12

25 novembre 2018

Cette lettre-là n’a pas pour vocation d’être envoyée, ça ne servirait évidemment à rien.

Cher opérateur historique soumis à l’obligation de Service Universel (entretien et réparation du réseau de téléphonie fixe).

J’aurais pu vous écrire toute ma rage en tant que citoyen seulement, fustiger l’entretien quasi inexistant des lignes téléphoniques en campagne, et la légèreté criminelle avec laquelle vous traitez les plaintes légitimes des usagers sur les dysfonctionnements du service, et la désinvolture ou l’incompétence des sous-traitants sous votre commandement…

Mais j’ai également eu affaire à vous en tant qu’élu, et j’ai pu mesurer combien je n’étais pas bien plus important à vos yeux affublé de cette étiquette, combien ça ne suffisait pas à vous faire honorer votre mission. J’ai pu apprécier l’étendue de votre puissance et la complicité de l’État quand un sous-préfet, après promesses de soutien contre certaines preuves, n’accusa jamais réception de ces preuves que je lui fournissais.

J’aimerais dire que je me suis battu pour vous arracher des investissements mais j’ai surtout le sentiment de m’être débattu pour arriver quelquefois à vous faire honorer tardivement votre mission de réparation dans ce qu’elle a de plus élémentaire. Il y en a qui se seraient sûrement acquittés de ma tâche avec plus d’intelligence et de persévérance que moi mais ils n’étaient pas là.

Tant pis pour moi, pour mon orgueil. Tant pis aussi pour les petits vieux et les plus démunis, qui s’ils meurent un jour chez eux, faute d’avoir pu joindre à temps les services de secours, le feront devant un beau paysage ! On ne peut pas tout avoir, et on commence à le savoir par chez nous, tant ça nous est rétorqué souvent jusque dans le plus beau bureau de la sous-préfecture de la ville moche – est-ce de mon fait ? – du coin.

À l’heure où, sur la base de nombreux témoignages, l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) vous met en demeure de respecter votre objectif de qualité de service, force est de constater que mon bout de cambrousse n’est pas le seul à avoir à se plaindre de vos services ou de leur absence criante. Je me réjouis évidemment de cette sommation tout en ne nourrissant que peu d’espoir quant à son effet sur votre politique d’entreprise naturellement dévouée au profit, et que cette foutue astreinte au Service Universel fait mine – et seulement cela – de contraindre.

Veuillez néanmoins agréer tous mes vœux de mise en pratique d’une certaine humanité dans les plus brefs délais.

Ma vie d’élu – 11

13 novembre 2018

La lettre fut maturée pendant des mois… Et je l’envoyai quand mon départ se fit imminent – au maire, avec ma démission, puis aux conseillers quelques jours plus tard.

Bonjour à tous.

 Après mûre réflexion, je viens d’envoyer ma démission du conseil municipal [au maire].

 Le temps qui manque est une des raisons qui me font quitter le conseil. Et si ce n’est pas toujours le temps matériel, c’est tout au moins la disponibilité d’esprit. Je n’ai jamais pu me faire à l’idée de n’être investi qu’à moitié (ou beaucoup moins). Je ne veux plus m’y résigner.

 Ce peu d’investissement est dû aussi à ce que ma grande appréhension des rapports humains m’a rendu difficile le contact avec vous tous dans des réunions souvent surchargées, parfois cacophoniques.

Mais les principaux motifs de cette décision concernent ma vie privée.

 Je m’absente par ailleurs au Québec avec [mon épouse] de mi-novembre à avril pour des raisons familiales et personnelles et je trouve que ce ne serait pas honnête vis-à-vis des électeurs d’être absent de mon poste aussi longtemps (et cela d’autant que j’ai déjà raté trois conseils municipaux consécutifs cette année). Et d’autant plus, qu’à mon retour, j’aurai beaucoup de travail à rattraper sur ma ferme.

 Néanmoins, je signale sans rancune que comme personne ne s’est inquiété de mon absence à la réunion de juin alors que je n’avais pas donné signe de vie (pour rappel, je n’ai pas reçu la convocation), j’en ai tout naturellement déduit, en cohérence avec ce que j’écrivais plus haut, que je ne manquais à personne, que mon absence était « naturelle »…

 Je vous souhaite bon courage pour la suite et félicite chacun pour son travail passé et celui à venir. Je regrette pour ma part la trop grande hiérarchie et le manque d’écoute qui règnent dans l’organisation et les échanges au conseil, les réunions trop chargées, les ordres du jour laconiques et non documentés, mes nombreux messages restés sans réponse… Mais je conviens que je n’ai rien fait (ou que peu) pour faire entendre mon point de vue sur ces questions. Je n’ai donc rien à vous reprocher. Cela alimente juste le constat que ma place n’est pas là.

 Par contre je ne regrette pas l’expérience, ni de vous avoir (un tout petit peu) mieux connus.

 Je me permets de transmettre la charge des relations avec Orange (fossoyeur de notre réseau téléphonique, si on laisse faire les choses) [au deuxième adjoint], qui a déjà traité plusieurs dossiers sur la question avec moi. […] Quant au sujet des télécommunications, internet compris, il me semble être des plus cruciaux qui soient (plus même que les routes, qui elles sont déjà là et en bon état général) et je fais le souhait qu’il reste dans les priorités de votre équipe.

Pour ma part, je continuerai, dès mon retour du Québec, à être membre du Collectif Téléphone Internet [local] qui fait un travail nécessaire, et je ferai volontiers le lien avec le conseil municipal (par ailleurs, je reste à votre disposition en cas de question sur le sujet ou d’un quelconque besoin d’aide : selon moi, une politique municipale digne de ce nom devrait pouvoir impliquer ses citoyens, selon leur temps disponible et leurs capacités). […]

 Avec mon départ, je laisse aussi une place à prendre au sein de la commission Ruralité-Agriculture de l’Agglo. J’espère que l’un-e d’entre vous s’en saisira car il me semble que c’est encore l’un des endroits où l’on peut trouver certains leviers d’action…

 […]

 Je vous souhaite à tous une fin de mandat la plus intéressante et constructive possible.

 

Ma vie d’élu – 10

21 avril 2018

Si dans ma vie quotidienne et dans ma vie professionnelle, je parviens à peu près, sur la globalité, à m’accommoder de mes blocages relationnels, il semble que je ne puisse y parvenir dans ma vie d’élu. Au bout de 4 ans, les membres de l’équipe municipale me font encore peur.

Quant à moi, depuis une histoire de broyeur à végétaux que je n’avais même pas mise sur le tapis, et qui permit au maire de passer ses nerfs sur ma trogne, j’ai, je le crois, su plutôt bien me faire discret, j’ai gagné la confiance, au moins un peu, je fais sans doute moins peur. (Je sentais cette peur dans l’attitude agressive du maire : peur de l’inconnu, de la contradiction, qu’il a donc su peu ou prou tuer dans l’œuf en début de mandat.)

Aujourd’hui, à me faire discret et à travailler un peu pour l’accès internet et le téléphone, j’ai sans doute réussi, si ce n’est à me faire aimer (faut pas pousser), au moins à me faire reconnaître auprès des autres membres du conseil municipal comme bien intentionné envers eux et les habitants de la commune. Cela ne suffit pourtant pas à me faire abandonner la peur, ses causes étant multiples et profondes. Et cette peur m’empêcha de demander renfort à d’autres conseillers quand le maire, par le passé, voulut bien me laisser étudier la possibilité de mettre en place une chaufferie à bois communale… Tâche qu’il ne tenait pas le moins du monde à ajouter aux siennes, déjà fort accaparé qu’il est par les affaires courantes.

Ne me sentant pas soutenu, accompagné (bien qu’autorisé), j’enterrai bien vite toute velléité de travail à ce propos. Aujourd’hui, enterrerai-je de même, et avant même d’oser l’évoquer, l’idée d’un achat par la commune des terres agricoles laissées vacantes par le paysan qui s’est suicidé l’an dernier ? Protéger leur statut agricole et les préserver d’un accaparement par le gros éleveur du coin me semble être une cause noble entre toutes, mais j’appréhende déjà l’accueil frileux qu’une telle proposition susciterait probablement en conseil municipal : justifications financières (qu’il est facile de m’opposer tant je n’entends rien aux comptes communaux), fatalisme (« les héritiers vendront au plus offrant, c’est comme ça ») ou appels à étudier la question moi-même sont également susceptibles de me couper les ailes.

Tant que je ne me sentirai pas capable de faire équipe, de créer des alliances, aucune tâche un tant soit peu complexe ne me semblera à portée de main, et le manque de temps que j’ai à y consacrer contribuera à faire définitivement pencher mes idées du côtés des idéaux fantasmatiques. Et l’expérience municipale, si elle devait durer, de demeurer avant tout une frustration.

Ma vie d’élu – 9

12 avril 2018

C’est en me promettant quasiment une démission prochaine que je sèche la dernière réunion du Conseil Municipal, sûr d’avoir enfin mis à jour une incompatibilité décisive avec la fonction après une réunion en commission de l’Agglomération…

Je n’ai pas assez arpenté le territoire, je connais bien mal les lieux et les personnes. Je n’ai affaire qu’à des inconnus qui disent des choses que je ne comprends pas. De fait je crains d’à mon tour ne pas être compris si je m’exprime. Je n’exprime presque rien. Aussi rien n’arrive qui me fasse me sentir un peu plus appartenir à la communauté pour laquelle je me suis engagé par le biais de mon élection.

C’est une mission de retraité. De vieux ancré dans le territoire, et qui dispose de bien du temps. C’est tout ce que je ne suis pas.

C’est une mission de retraités, qui de leurs grandes oreilles de vieillards, devraient avoir pour devoir d’écouter attentivement la population, des plus jeunes aux plus âgés… Et de ne décider de rien sans eux, de ne mettre en pratique que les décisions qui seraient issues des diverses commissions composées de citoyens et d’élus.

C’est une tâche qui, pour un travail serein et une responsabilité claire, devrait être rémunérée, du simple conseiller au maire, en passant par les adjoints. D’ailleurs tous devraient être adjoints délégués à une ou plusieurs commissions, et maire n’être que le titre honorifique de celui qui se fait le relais de la population, via le Conseil, auprès de toutes instances.

Ça ne résoudrait pas tout, j’en suis convaincu, mais ça se rapprocherait un peu de ce qu’on est, me semble-t-il, en droit d’attendre de ce qui se dit Démocratie.

Ma vie d’élu – 8

18 février 2018

Ma vie d’élu qui s’apprête à rater une deuxième réunion consécutive, et quand on sait que les réunions arrivent à un ou deux mois d’intervalle… Ma vie d’élu pas là.

Ma vie d’élu qui a demandé à obtenir les documents relatifs à l’ordre du jour pour se faire un avis sur les choses néanmoins, et qui sait pertinemment qu’on ne lui transmettra rien. Ma vie d’élu qui attend la fin de son mandat avec impatience.

Ma vie d’élu qui rêve de s’associer à des personnes choisies pour, lors des prochaines élections, monter une liste de type collégial qui implique les citoyens dans les prises de décision, sur le modèle de la fameuse mairie de Saillans dans la Drôme. Ma vie d’élu qui ne se sent pas les épaules pour initier un tel mouvement ni affronter les conséquences de sa trahison envers l’équipe actuelle (dont un noyau fera sans doute à nouveau liste commune dans deux ans ; ainsi se renouvelle au compte-gouttes la classe politique locale d’une commune de deux cents âmes).

Ma vie d’écrivain novice qui culpabilise de donner à lire en cette rubrique bien peu de choses consistantes… Mais qui espère qu’en creux se dessine néanmoins une situation, un contexte, et que mon portrait impressionniste qu’est ce journal paysan s’en trouve un peu enrichi.

Ma vie d’élu – 7

17 novembre 2017

La démission récente d’une conseillère municipale (qui en appelle à des problèmes personnels comme justification) plonge le Conseil dans la perplexité en ce début de réunion. Moi je me demande à quel point cette perplexité est feinte. Personne ne se sent-il donc jamais inutile, impuissant, trop occupé par ailleurs pour bien faire son travail ? Personne ne déplore-t-il donc les difficultés de communication entre nous ? Personne ne rêve d’envoyer tout balader pour consacrer son esprit à des choses plus futiles, plus agréables, plus constructives ? Je tente de faire part à l’assemblée de ce en quoi la démarche de la démissionnaire peut être compréhensible et j’ai l’impression, comme souvent, de parler une langue étrangère, de m’adresser à un groupe de zombies, dans le cerveau en bouillie desquels mes mots n’ont aucune chance de trouver la moindre résonance.

Vient ensuite l’hommage appuyé au boulot de l’ex-conseillère par une personne qui a plutôt pour habitude de donner dans la critique acariâtre, et qui je le crains ne lui a rien dit de tout cela en face. Les compliments ou remerciements des uns et des autres que j’ai pu lire ou entendre depuis le début de ce mandat se comptent sans doute sur les doigts d’une main, et on se demande pourquoi certains démissionnent…

Ma vie d’élu – 6

6 septembre 2017

D’une réunion de commission de la Communauté d’Agglomération (40 participants, à la louche) de type café du commerce sous son vernis de jargon technocratique à ossature acronymique, je sors, pressé de me faire une toile, pour oublier que je n’ai rien à oublier puisque je n’ai rien compris (dans le détail, soit ce qui compte) et m’injecter au cinoche du coin un concentré de vie en 24 images/seconde qui conjurera je l’espère tout ce qu’une réunion politique – censément au service du bien-vivre des gens – dégage de mortifère.

Ma vie d’élu – 5

27 juin 2017

France 3 est au village pour parler du multiple rural qui cherche repreneur. Le maire, qui n’a pu être joint qu’au dernier moment, débarque, colérique, et s’en prend à quiconque le croise avant de finir par décharger son fiel sur le jeune homme qui a pris l’initiative d’inviter le journaliste et son caméraman. Le garçon pris a parti réplique à son tour avec virulence devant les reporters, très probablement médusés par la tournure des évènements. Une poignée de citoyens présents le sont assurément. J’en suis, gardant sur la scène une distance teintée d’ironie, mais néanmoins pas très à l’aise dans ce panier de crabes de village. Ainsi, si je m’en tiens à distance la plupart du temps c’est sans doute en partie pour m’éviter au maximum des porte-à-faux entre élus et administrés, n’assumant parfois que peu les décisions prises au sein du Conseil Municipal (ou par le maire sans le Conseil Municipal), et déplorant les jérémiades et les reproches des citoyens égoïstes, paresseux ou idéologiquement suspects.

Ma vie d’élu – 4

8 mai 2017

Encore un fier ! Lui c’est l’ancien cafetier-hôtelier-restaurateur-épicier du village qui vient déménager son matériel du commerce qu’il a laissé il y a quelques mois. Les murs sont à la mairie. Lui aurait bien aimé que la municipalité lui rachète également son matériel sans trop faire la fine bouche, car il n’est parvenu à revendre à personne son fonds de commerce. Il en a été décidé autrement par le maire et un adjoint. Et personne au conseil municipal, sauf moi, n’a exprimé une opinion contraire. Et personne n’a répondu à mon appel ultérieur lorsque j’ai justement souhaité que les avis de chacun soient exposés.

Lui, c’est un type énergique qui s’est engagé sans compter. Il doit aujourd’hui travailler comme employé pour faire vivre sa famille, et le faire avec hernies discales, arthrose et arthrite dans le bras. Il me l’apprend. Il a, à 40 ans, les maux d’un homme de 60. Mais il garde la tête haute, le sourire, et se veut rassurant quand il lit la tristesse et l’empathie dans mon regard. Ça va qu’il dit, de toute façon il ne sait pas s’arrêter. Et puis là-bas, tout au sud, où il vit désormais, y’a la montagne, y’a la mer, alors ça va, forcément !

Forcément… C’est un fier.

Ma vie d’élu – 3

26 avril 2017

À relire celle écrite et gardée pour moi l’an dernier, je constate que j’y disais déjà l’essentiel, avec les pincettes qui s’imposent et qui ne suffiront jamais. Inutile, donc, de réécrire aujourd’hui une lettre de démission au Conseil Municipal puisque je sais ne pas vouloir l’envoyer (et encore moins l’y lire). Pas de bâton pour me faire abattre, sans façon ! Mais il me faut bien pourtant accepter de continuer à vivre cette expérience avec abattement.

Ma vie d’élu – 2

15 avril 2017

Après réunion du Conseil, le soulagement. D’avoir réussi principalement à m’exprimer malgré la cacophonie ambiante (que le maire, quelle gageure, arrive même à entretenir seul la plupart du temps). Dois-je m’en satisfaire ? Dois-je m’en inquiéter ? Car, à la vérité, si j’ai été écouté un peu, c’est pour mieux ne pas être entendu du tout.

Ma vie d’élu – 1

10 avril 2017

L’écologie, la culture, même pour une poignée d’habitants, même sans budget mirobolant : à envier le dynamisme municipal de la commune d’à côté, je me prends à rêver d’y être élu plutôt qu’ici. Et je reporte la faute de ma timidité au sein de mon équipe sur le caractère et les idées des autres conseillers. La politique est une lutte de fond, ici comme là-bas sans doute, ici-bas comme tout en haut. Moi je suis un piètre lutteur, bien fainéant, trop rêveur… Juste impatient ?