Le métier – 1

26 juin 2017

J’en connais des aventuriers, des entreprenants qui comme mes parents sont partis de rien et se donnent les moyens de leurs ambitions. J’en connais des gros bosseurs qui ont un cap et savent s’y tenir, notamment paysans en milieu difficile. Il ont d’autant mon admiration que je ne leur ressemble pas. Ils me font un peu peur aussi pour la même raison. Et quand je me sens dépassé par une quelconque difficulté mineure, ou quand tout semble au fond facile pour moi une fois cet obstacle levé, j’ai le sentiment que je ne mérite pas ma chance. Parce que c’est un lieu où il y aurait encore tant à entreprendre, je me sens usurpateur de ne le faire qu’a minima, de ne faire que m’en servir et l’entretenir et d’en récolter un mérite qui ne m’est pas dû. Puis, un peu mieux disposé envers moi-même, je songe que les tempéraments hardis trouveront quoi qu’il arrive défis à leur ambition, ou bien se les créeront, et qu’il est bon parfois que les moins audacieux, les plus lents à la détente, les homo cogitatum et les handicapés des relations sociales, se fassent offrir la chance d’exprimer également une forme de créativité loin des épreuves majeures susceptibles de les clouer au sol. Mon problème est que j’exprime cette créativité plus volontiers ailleurs que dans l’activité que j’ai repris – par exemple dans le dessin, le texte, les deux imbriqués – mais que c’est de l’activité que je n’ai pas créée – et qui reste celle à laquelle je donne le plus de temps – que je tire prestige.