Le corps et l’esprit – 5

28 octobre 2018

Pourquoi le nier, j’aime péter. Rien de honteux à avouer que ça fait du bien par où ça passe. Tant mieux pour moi, qui suis sujet aux flatulences, semble-t-il, plus que le commun des mortels. On me rétorquera alors que je ne suis pas le seul concerné par ces gaz d’échappement et que chercher à les limiter serait une preuve de considération pour mes contemporains. Si je me permets d’aborder ici le sujet, c’est bien justement parce que j’aimerais exprimer qu’il y a selon moi des choses éminemment plus cruciales à faire par quiconque affirme se soucier du bien-être de ses semblables.

Certes, il faut en toute chose de la mesure, et je n’impose inconsidérément pas mes émanations anales à ceux que ça bouleverserait trop (par ailleurs le corps se discipline de lui-même quand parfois je me trouve à passer un moment avec des gens, et les pets, que je n’ai même pas eu à refouler – rien de plus désagréable -, se manifestent seulement après coup), mais qui n’est pas trop borné conviendra tout de même avec moi, je l’espère, que bien des odeurs fortes et persistantes sont autrement plus dérangeantes que le fumet vite dissipé d’un pet qui pue. Par ailleurs, celle ou celui qui ne produit que des gaz malodorants est je crois une personne malade qui devrait sans doute modifier sa manière de s’alimenter. Les pets de la plupart des gens naviguent selon les jours, le moral et la nourriture, entre 1 et 10 sur l’échelle de Sokolov (inspirée du personnage de Gainsbourg, et qui mesure la puanteur alors que, soit dit en passant, si l’on se fie au contenu du roman, elle devrait plutôt rendre compte de la force vibratoire), et ne sont bien souvent que le résultat anodin et inodore du travail efficace des bonnes bactéries de notre intestin. Quand on juge qu’ils puent trop, on peut ouvrir une fenêtre – ce qui est au passage le meilleur assainissant de l’air qui existe !

Restent les bruitages qu’on peut tout de même difficilement qualifier de pollution sonore quand on voit ce qui est subi en la matière un peu partout. Restent les bruitages, donc, appelés sciemment ainsi tant il y a de possibilités de variations selon la position, la taille de la poche de gaz et le séant de la personne concernée, et dont il serait dommage, je trouve, de ne pas s’amuser. Qui choisit de s’en désintéresser a néanmoins toute ma considération. Il n’y a juste pas de quoi s’offusquer que notre nature d’animaux se rappelle à nous aussi par le cul, cette partie de notre corps que l’on ne voudrait dévouée qu’à l’érotisme et à la séduction. Ce n’est pourtant pas incompatible, puisqu’on sait bien qu’en la matière la première chose à faire est de s’assumer.

Le corps et l’esprit – 4

13 mai 2018

Voici le constat : au troisième et dernier jour des redoutés Saints de Glace (Mamert, Pancrace, Servais), la pluie s’abat, et le vent l’accompagne, qui fait s’envoler au loin une grosse dizaine de degrés Celsius. Qui a déjà repiqué ses plants de tomates en plein champ n’a que ce qu’il mérite…

Pourtant hier et avant-hier, tout jours Saints de Glace qu’ils étaient également, n’ont pas brillé par leur climat extrême. Et que dire de demain, où l’on nous annonce peu ou prou la même chose qu’aujourd’hui ? Qu’on n’est pas à un jour près ? Que c’est plus imagé de personnifier la période, plutôt que de dire banalement qu’en général, jusqu’à mi-mai, la chaleur n’est pas garantie ? Va pour les images, moi j’aime ça.

J’aime le rêve, les histoires, les fantasmes, passionnément. Et je les prends très au sérieux. Car l’on se heurte régulièrement à la matérialité des choses, elle oppose des obstacles à nos actes et notre compréhension bute encore sur bien des phénomènes physiques. L’imaginaire a le pouvoir de nous affranchir du carcan de la matière, c’est une chance à ne pas délaisser, pour peu que l’on ait appris à la saisir, et que l’on ne s’y perde pas tout à fait, que l’on se garde de toute défiance envers la science. L’humanité fait à ce titre les frais des religions, principalement monothéistes, depuis des millénaires, et ça ne semble pas parti pour s’arrêter, l’intégrisme ayant encore le vent bien en poupe.

Diverses croyances moins répandues, plus ou moins dogmatiques, mais moins influentes, irriguent la société contemporaine. Dans le milieu agro-écolo-alternatif, il s’agit de l’influence de la lune et des autres astres sur le monde vivant qui peuple notre planète, et des théories biodynamiques et homéopathiques. Cette dernière étant la plus connue puisque son succès en fait aujourd’hui une pratique médicinale (ou prétendue telle) choisie dans de nombreux foyers. On évoque pourtant fréquemment à son sujet une efficacité qui ne serait due, si elle s’avérait incontestable dans certains cas, qu’à l’effet placebo.

J’ai grandi, soigné en partie aux granules homéopathiques par des parents qui avaient pris leurs distances avec les religions de leurs propres parents. J’évolue dans un milieu où, même quand l’on n’adhère pas complètement aux préceptes de la biodynamie ou qu’on les connaît mal, le respect pour ses méthodes est prégnant, leur pratique reste une éventualité. Et cela même de la part de personnes, en leur grande majorité, je le crois, non affiliées à une religion dominante. Or les méthodes biodynamiques (inspirées en partie par les principes de l’homéopathie) sont l’application agricole des préceptes de l’anthroposophie, et l’anthroposophie est une religion, avec ses dogmes, ses croyants, ses fondations chrétiennes et ses pratiques irrationnelles… Mais c’est une religion qui ne dit pas son nom, qui, se présentant plutôt comme un mouvement de pensée, diffuse efficacement certaines de ses prescriptions via toute une communauté de sympathisants plus ou moins renseignés, notamment paysans ou militants écolos. Par ailleurs le mouvement biodynamique fut parmi les pionniers (si ce n’est le pionnier) de l’agriculture biologique et cela a tout pour lui garantir une aura plus que positive dans le milieu. L’esprit communautaire joue également, exacerbé, je le crois, par le besoin de guides quand les deux grands pôles de croyance – scientifique et religieux monothéiste – se trouvent être aussi suspects l’un que l’autre pour nombre d’entre nous. Aussi le besoin de Croyance qui persiste chez la plupart sera formulé en quête de sens, et fera le succès du Sacré à la Rabhi, de l’idée d’une Terre Mère comme déesse païenne, des notions de (supra)sensible ou d’énergies pour expliquer tout ce qui nous dépasse, pour rêver ou se donner de l’espoir.

Une religiosité plus ou moins consciente s’épanouit en opposition au matérialisme, qui est pris en otage par le libéralisme économique… Et je crois pour ma part qu’on ne doit pas laisser la science et le matérialisme à l’idéologie capitaliste. Et j’affirme à la fois mon agnosticisme devant tous les mystères qui planent, encore irrésolus par la science, et parfois fruits de l’imagination fertile de certains. Et je confesse un usage jusqu’à aujourd’hui ponctuel de l’homéopathie pour me soigner et du calendrier lunaire au jardin, et cela même malgré les expériences souvent très soupçonnables de peu de méthode scientifique de ceux qui affirment sans ciller que ça marche. On ne dit pas merde à sa famille de cœur comme on gobe trois granules d’Arnica 9CH. D’ailleurs je ne sais pas bien dire merde aux gens, et je n’y vois, dans la plupart des cas, pas l’intérêt. Je convierais plutôt ici qui veut bien m’écouter à une quête de non-sens, soit d’acceptation de la part d’incongruité qu’il y a à vivre (pour chaque être, à titre personnel)… Acceptation qui permet de mieux vivre cette absurdité, sans trop de prédispositions à se faire manipuler, et sans pour autant que l’absence de Sens unique n’empêche de se donner des buts sensés. Enfin, pour le plaisir des images, et sans volonté d’objectivité, je plaiderais la distance nécessaire avec le matérialisme par l’humour (nonsense), et la musique comme tissu socio-écologique des êtres et des choses (recherche d’harmonie).

Le corps et l’esprit – 3

14 mars 2018

J’ouvre les yeux bien avant que le réveil ne sonne, dès les premiers rais de lumière. Quelque chose a changé. Juste quelques degrés gagnés, ou bien une dynamique plus globale, une poussée inéluctable qui m’emmène avec la nature entière vers l’expression de toutes nos possibilités ? M’assaillent alors ces sentiments contradictoires des premiers jours printaniers : la félicité de l’énergie retrouvée et le découragement devant la tâche à venir jusqu’en novembre (juste avant que le corps ne se plie de nouveau aux exigences de la saison froide et que l’esprit au diapason ne se connecte à d’autres canaux de pensée, à d’autres flux émotionnels).

Le corps et l’esprit – 2

4 juin 2017

Plutôt chétif j’étais, plutôt chétif je ne suis pas resté. Mais fin, oui. Mais sec, oui. Je partais de loin, ou de pas très proche, mais petit à petit, j’ai fait du muscle. Une grosse baraque, certes, je ne suis pas devenu. Mais relativement fort, mais endurant comme il faut, sans doute. Comme il faut pour ce lieu, qui m’offre souvent dans une seule journée un panel d’activités plus ou moins demandantes en effort physique, en concentration, et la possibilité de gérer mon temps comme bon me semble (avec tout de même pour contremaître, parfois un poil autoritaire, la météo). Et s’il y a des jours plus éprouvants que d’autres, ça s’équilibre pas mal : je ne me crève pas et je forcis mine de rien. Et je le constate par comparaison avec les vovos, qui outre leur fréquente lenteur à la tâche se révèlent souvent bien peu endurants.

Ainsi l’on a pu me qualifier de surhomme (pour me taquiner, mais c’était dit) quand je continuais d’œuvrer alors que tout s’était arrêté autour de moi. Or il y a qu’à coups de petites tâches, et à plus forte raison lorsque l’on travaille pour soi, pour le bien de son propre projet, garant de sa propre subsistance, l’esprit et le corps sont à même de trouver des ressources que les autres ne soupçonnent pas. L’ironie de la chose est que je me sens tout le contraire d’un surhomme : bien adapté à mon activité, certes, mais pas quand ça sort trop des clous (admirable est ma déconfiture quand je fais plus de deux heures de paperasse ou quelque chose de physiquement éprouvant alors que mille autres tâches m’appellent), et ne parlons pas de l’hypothèse d’un travail pour autrui à rebours de mes goûts, de mes convictions. Quant à tenir la distance ? Chaque échappée loin de tout ça, chaque arrêt du processus d’enchaînement des actions, et la fatigue qui m’accable à ces occasions, me mettent en garde quant à mes capacités réelles sur le long terme. Surhomme non, bien petit homme. Petit homme qui vit d’espoir, comme dans la chanson ; l’espoir de ne pas s’ennuyer sans que rien ne change trop, l’espoir de tirer sans excès sur la corde sans que ça ne craque jamais. Ce qui sont tout de même, je le confesse, quelques choses plutôt costaudes à réussir, et qui ne réussissent déjà pas tous les jours.

Le corps et l’esprit – 1

29 avril 2017

Au « Tarot de l’intuition » des amis j’ai tiré, par jeu, une carte qui m’enjoint à faire taire ma rationalité pour ouvrir mon esprit aux signes susceptibles de me faire fréquenter les chemins les plus judicieux. Mais la sempiternelle opposition entre matérialisme et spiritualité – entretenue dans une certaine catégorie d’ouvrages – et son succès me préoccupent plus que ce que seraient, et feraient de moi, mes prétendus blocages de cartésien. Ma spiritualité est bien réelle, et elle est en paix avec le matérialisme. L’imagination mène la danse, avec pour premiers outils la créativité, les sentiments, la volonté, l’humour. Dès lors, tout usage en est permis pour voir la vie du côté constructif. Reste à composer avec le doute, revers de la médaille de l’imagination fertile en tant que possible frein à l’action, mais outil essentiel à son tour quand il s’agit d’ouvrir les yeux sur la complexité du monde pour mieux faire preuve d’humanité.