Jouissances – 6

20 octobre 2018

C’est une journée où l’automne offre ce qu’il a de mieux : sol humide et temps sublime, douce lumière, couleurs variées des feuillages, chants d’oiseaux guillerets.

Je pénètre dans la cuisine, grande ouverte sur cette débauche d’offrandes et je prolonge le kif : l’odeur des champignons qui sèchent a envahi une partie de la pièce ; dans le fond, c’est la soupe de tomates aux fleurs de yucca qui exhale ses parfums ; devant la baie vitrée, le safran récolté est une tâche de couleur éclatante, et si l’on y approche le museau il y a là aussi matière à se délecter.

Les tomates savoureuses qui ont échappé à la soupe donnent le la de ma salade du jour, et dans l’entrée de la pièce, au soleil, un félin domestique, noblement affalé, semble être l’incarnation parfaite du bonheur qu’il y a à fréquenter ce bas-monde quand il nous est donné des journées comme celle-ci.

Jouissances – 5

24 septembre 2018

Chaud-froid. Petit short ras-les-roustons en bas, bonne veste polaire en haut. Vent du nord bien frais dans la face, soleil levant très volontaire dans la nuque. Plus tout à fait l’été, pas encore l’hiver. Cette saison entre les deux, celle des couleurs et de l’abondance, n’est pas qu’un intermédiaire, et elle a définitivement tout pour me plaire.

Jouissances – 4

10 juin 2018

Les ballots de foin, posés au bout des jardins, ont pris la pluie. Je les ouvre pour pailler les cucurbitacées. Dedans ça moisit, dedans c’est (légèrement) humide et (bien) chaud. Comme une compresse réconfortante à appliquer sur un bobo. Et ça sent encore fort le foin, odeur délicieuse dont je ne peux habituellement guère profiter à cause du rhume d’allergie qui l’accompagne. Ici, il semble que les moisissures et la température ont désamorcé à peu près le potentiel allergène de la chose. Aussi je puis la savourer doublement.

Jouissances – 3

16 mai 2018

Ça ne devrait en vérité pas demander beaucoup de mots pour le dire. Trois tout au plus. Mais il y a que je ne peux m’empêcher – à tort ou à raison – de broder autour.

Ça aurait pu donner lieu à un poème court, un haïku. J’en ai écrit par le passé, mais ça demande un certain état d’esprit dans lequel il me faudrait préalablement me remettre. On ne virevolte pas impunément entre prose et poésie…

Je ne sais pas à quelle variété elle appartient. Je ne saurais bien communiquer sa couleur sans la trahir, l’aplatir, la vulgariser. Quant à la nature de son odeur, cela me serait encore plus difficile. Mais à tout le moins, elle m’a comblé. Furtivement, le temps d’une inspiration (la deuxième est déjà sacrément moins parfumée), elle m’a fait tourner la tête.

Levons le mystère, c’est juste une rose, une plante parmi d’autres dans mes jardins, qui a trouvé le moyen de capter mon attention, de sortir du lot… Et qui m’a donné l’occasion de m’asseoir pour écrire, de profiter aussi de tout le reste autour.

Prose pour une rose… Il a d’ailleurs l’air de se demander ce que je peux bien retranscrire, cet énorme lézard vert, juché sur le haut du muret en grès et quartz blanc. Gros lézard qui semble gonflé artificiellement par les importantes précipitations des dernières semaines. Gros lézard – ou bébé varan ? – ton regard m’intimide, je retourne à ma rose. Elle est habitée seulement d’insectes placides dont je ne discerne pas les organes oculaires.

Jouissances – 2

4 avril 2018

Crépuscule, leurs nez blancs comme des loupiotes. De loin, les ânes sont des poèmes.

Ils me rejoignent, et tête contre tête, le mâle et moi, nous restons un moment. Sa forte respiration fait pénétrer en moi son énergie animale. Il semble qu’alors, deux natures anxieuses s’alliant, parviennent à se calmer mutuellement, et plus, car affinités.

Jouissances – 1

30 mars 2018

Les pieds effleurent le manteau épais d’engrais verts, si verts, si riches, encourageants quand le paysage tarde à nous offrir cette teinte en ce printemps fainéant, quand les pousses en pépinière ont du mal à se dresser. La lumière est magnifique, alors que le soleil nous gratifie de ses derniers rayons. Et la carotte rouge que j’ai déterrée et lavée à l’eau douteuse du petit réservoir des jardins, la carotte gorgée de jus et de saveur, et de quelques vers, en surface, avant que je ne coupe consciencieusement les parties gâtées, la belle carotte, la bonne carotte, elle est là comme cerise sur gâteau !