Jeune vieux – 5

3 juin 2018

L’enfant en moi, c’est quoi ?

C’est aimer tout ce qui est jeu, se désintéresser de ce qui n’en relève pas au moins un petit peu. C’est l’émerveillement pour des choses simples.

Et l’adulte dans tout ça ?

Il peut sélectionner les jeux, par goût d’apprendre, ou pour éviter ceux qui sont à même de blesser. Il peut remarquer que les choses compliquées ont également leur intérêt.

L’enfant chez les autres ?

Il existe sans doute. Il se fait connaître parfois, mais ce n’est pas toujours celui qu’on aimerait voir. C’est plus souvent le mesquin qui refuse de reconnaître les limites, celui qui se vexe, celui qui s’emporte, que celui qui fait preuve de la fantaisie que la plupart des adultes s’interdisent. Je suis moi aussi parfois un enfant un peu capricieux… J’essaie de le regarder en face.

Jeune vieux – 4

3 juin 2018

Ça meurt autour de moi, des vieux et des moins vieux, pas des très proches, mais des proches de proches. Ou des proches de proches de proches. Ça se rapproche : la mère de ma compagne vit sans doute ses derniers mois (loin de nous, en Amérique du Nord).

La voisine de forêt, elle, vient de perdre son grand frère, et pleure devant moi. Et moi, qui ne passe la voir que très rarement, voilà que je me souviens qu’on a un peu été frère et sœur également, étant enfant et adolescente, quelques années durant, alors qu’elle habitait à la ferme avec sa famille. Voilà que ça me revient.

(Comme on peut enterrer les choses.)

Voilà que je perçois sous un éclairage nouveau ce jour d’automne où elle s’est fendue d’un texto de reproches à l’encontre de ma compagne et de moi-même. Son message mettait l’accent sur le lien distendu entre nous, dont visiblement elle nous jugeait plus responsables qu’elle du fait qu’on passe régulièrement près de sa maison sans s’arrêter et qu’on prétende lui demander des choses. (On venait de lui proposer, comme d’autres fois avant cela, de nourrir nos animaux pendant qu’on allait passer du temps à cuisiner et commercer sur une foire bio. Où était le problème, puisqu’on la rémunérait pour cela ? En quoi être voisins nous obligeait-il à être plus proches que ça ?)

Peut-être suis-je encore l’enfant d’hier dans ses yeux ; c’est ce que je crois comprendre aujourd’hui. Mais moi j’ai enterré cet enfant et j’en suis devenu un nouveau. Moi, j’ai oublié cet enfant parce que je me suis échiné à en devenir un autre sous des atours de grande personne : un enfant utile en quelque sorte, un outil quotidien pour survivre au vieillissement. Et peut-être ce n’est pas ce qu’on attend d’un gentil garçon comme moi, d’avoir sacrifié ses souvenirs pour une jeunesse renouvelée.

Qu’on se rassure tout de même, si c’est nécessaire, en constatant qu’à la lumière de quelques larmes, un vieux bout de mémoire abîmé peut refaire surface…

Jeune vieux – 3

30 avril 2017

Me trouver déçu, en me relisant dix ans plus tard, de juger mon moi d’avant plutôt bon rédacteur et commentateur pertinent. Il me faudrait donc forcément évoluer ? Gagner à tout prix en savoir, en savoir-faire et en savoir-paraître ? Même quand les capacités détenues en la matière semblent suffisantes à la bonne marche de ses activités ? N’est-ce pas dès lors ambigu de placer ici sa volonté plutôt que sur le savoir-vivre, le savoir-être, le savoir-aimer, qui nous permettent de vivre en bonne intelligence avec les autres et devraient nous suffire pour exister, tout simplement, et humblement ? Mais vieillir – donc décliner – sans évoluer par ailleurs, est-ce vraiment exister ?

Jeune vieux – 2

29 avril 2017

Il y a que physiquement, je me vois également vieillir, mais qu’en l’occurrence je m’en satisfais bien, considérant plutôt que j’accède ainsi à une maturité en la matière. Cet aboutissement sur lequel je n’ai pas prise ne me fait pas me sentir véritablement homme, mais il fait envisager au gamin que je subsiste l’idée de la paternité comme moins saugrenue – et effrayante – qu’auparavant.

Jeune vieux – 1

27 avril 2017

Je mets sur le compte de la fatigue ces fréquents épisodes où un mot m’échappe, où me semble inexprimable clairement une pensée un poil élaborée. Depuis quelque temps, j’ai le sentiment de ne plus progresser intellectuellement (et qu’à peine en terme de savoir-faire et de connaissances, mais ça c’est mon rythme propre qui l’impose). Je me sens vieillir, et la conscience que c’est un sentiment sans doute prématuré n’aide guère à mieux le vivre. Et la conscience que bien que prématuré, c’est sans doute un sentiment partagé par beaucoup à mon âge, paradoxalement, enfonce le clou. Mon sage intérieur exigera du repos et un recentrage sur l’essentiel, mais il se mesurera à la sourde oreille de l’anxieux en moi, incapable de ne pas se disperser entre les diverses auto-missions plus ou moins primordiales, futiles, maladives, utiles, agréables…