En nature – 8

10 novembre 2018

C’est ce qu’à l’inverse d’une plantation d’arbres rectiligne, on appelle une forêt.

C’est une forêt, certes, qui de loin fait des paysages bien monotones. C’est une forêt faite d’une essence – le pin maritime – qui acidifie les sols. C’est une forêt vulnérable aux incendies. C’est un vestige malheureux de l’époque des mines de charbon qui, alliées à la déprise agricole, ont favorisé la colonisation des montagnes par ce résineux – qui était planté pour élaborer le soutènement des galeries.

Mais c’est une forêt, et sous les houppiers haut perchés des pins, poussent, vivent, vivotent, attendent leur heure, selon les endroits et la luminosité (l’âge des pins), un peu d’herbe, des bruyères, des cades, des fougères, des filaires, des arbousiers, des chênes, des châtaigniers…

C’est une forêt que j’aime arpenter en automne, à la recherche de champignons. À ces occasions, la pluie n’est pas désagréable, une chute de grêle est une vraie bonne surprise et le soleil qui pointe après dessine un moment de grâce. Et même quand le temps reste à la pluie des jours durant, l’on peut jouir du contraste forestier des troncs des pins, noirs d’humidité, et des feuilles jaune vif des petits châtaigniers, sur fond rouge ocre de tapis d’aiguilles et de fougères en fin de vie. Le vert des houppiers en arrière-plan semble être tout revigoré à son tour de cette association chromatique opportune.

En nature – 7

20 octobre 2018

C’est dur d’être en avance sur son temps. Les coulemelles sont de sortie mais n’ont pas encore déployé leur chapeau. Il y a celles – tout de même nombreuses – que je repère malgré leur camouflage chamois passe-partout, et puis celles que je rate, forcément – moins nombreuses, espérons…

C’est dur d’arpenter un pays sans paysans. Les ronces envahissent prés et sous-bois. Je m’y accroche plus ou moins sérieusement. La balade, que je voulais tranquille après une journée de labeur, se transforme en entraînement pseudo-militaire pervers. Mal chaussé de godillots en fin de vie, affaibli et imprudent, je manque de me blesser gravement quand un gros rocher dévisse sous moi…

C’est dur pour les sangliers aussi, que je dérange à plusieurs reprises, et dont la fuite se fait entendre par le bruissement soudain des ronciers où ils se croyaient à l’abri. Sans doute se vengeront-ils en dégommant de nouveau quelques-uns de ces champignons dont ils ne font de toute façon pas consommation…

C’est dur tout ça. Vivement la ville à la campagne !

En nature – 6

23 septembre 2018

Le premier jour officiel de l’automne va, semble-t-il, donner le signal de la fin de la chaleur estivale : le vent devrait demain nous faire perdre une dizaine de degrés. Mais aujourd’hui c’est encore l’été, le vrai, le bien chaud. Je descends à la rivière avec ma compagne avant qu’il ne soit trop tard pour espérer s’y tremper avec entrain.

J’ai coutume de dire aux vacanciers – fascinés par la beauté sauvage du cours d’eau – que je ne tiens plus particulièrement à m’y baigner, que j’en ai en quelque sorte épuisé le potentiel étant enfant. Pourtant je crois que j’aurais regretté de ne pas y nager au moins une fois cette année, de ne pas convoquer un instant mon enfance en pataugeant – vite fait – au fond de la vallée, seul avec la femme que j’aime, seuls avec la nature. C’est pas si fréquent à si peu de pas.

Les tempêtes de neige du nord de l’Amérique du Nord n’ont pas vocation à m’éloigner plus des baignades en vasques dans les rochers que ne le fait déjà l’hiver français, mais il n’était visiblement pas si évident de m’en convaincre aujourd’hui.

En nature – 5

23 décembre 2017

La disparition de nombreux insectes peut être considérée comme un bienfait par les automobilistes qui n’ont plus à nettoyer leur pare-brise régulièrement des bestioles qui s’y écrasent. Aussi peuvent-ils rester la tête dans le guidon, radio sensations à fond, sourds à ce que signifie vraiment l’absence de ces importuns salisseurs quant à l’état dans lequel l’humain met la biodiversité.

Pendant ce temps, dans mon trou sauvage et cultivé, je savoure la poésie de ces nuées de moucherons qui, dans la lumière rasante du soleil d’hiver, forment un ballet lumineux discret ; qui semblent, dans un tout autre registre que le colibri pompier cher à Rabhi, faire leur part, mais d’esthétisme. En ville, restent, pour les automobilistes – et les autres – les décorations de Noël.

En nature – 4

18 décembre 2017

Mistral ou Tramontane, le vent a toujours le bon goût de se lever quand je m’apprête à abattre des grands arbres, et la malice de retomber quand je me suis sagement résigné à faire autre chose de moins dangereux. Si en Éole je croyais, me faudrait-il énoncer ma prière à ce Grand Polisson en Chef sous forme de contrepèterie pour espérer profiter de sa magnanimité ?

En nature – 3

21 avril 2017

Il a fallu réagir pour ne pas faire que subir cette journée où stress et douleur physique me coupaient les ailes. Une sieste puis une balade. Pas loin, mais dans des coins encore inexplorés : sublimes levades moussues, pousses de fragon à récolter, traces du passage des sangliers, ripisylve et peuplier hors d’âge qui m’accueille en vieux sage… Je reviendrai, et rôderai également par là-bas, et à côté, autour, derrière, en dessous… Que ne le fais-je donc plus souvent ? Cette richesse à portée de mes sauts de cabri, ne serait-ce que confiture à un cochon ?

En nature – 2

21 avril 2017

L’espace d’un instant, choisir de ne pas forcément le subir, s’y mettre à l’écoute et se surprendre à l’apprécier, mon rhume des foins, quand l’éternuement fait mine de se présenter, et recule, et s’annonce de nouveau, pour mieux renoncer, avant de… Non. L’occasion d’une pause, et la bulle de ma concentration qui m’entoure, de se dégonfler. Et la nature environnante (sauvage ou cultivée) de m’accueillir en son sein. On fait corps, et je ne peux que constater que ça arrive trop rarement.

En nature – 1

19 avril 2017

Je reste assez longtemps, pour la première fois, proche de l’étron que je viens de poser dans le bois. Assez longtemps pour y voir le nombre inimaginable de mouches de toutes sortes qui s’y bousculent. Cette vie grouillante et enthousiaste, cette vie qui se nourrit du déchet de mon corps, et plus généralement du déchet que la société humaine s’échine à cacher, refouler, refuser de considérer comme potentiellement utile justement… Cette vie m’inspire et m’émeut.