Avec les bêtes – 19

31 décembre 2018

Ils m’ont accompagné en 2018 :

Le jeune chat qui vient chier dans la tranchée fraîche où je sème mes haricots et qui, après que je l’ai chassé, que j’ai évacué la crotte et rebouché la tranchée, revient, lui, reboucher son trou qu’il n’y a pourtant plus à reboucher – soit regratter et déterrer en partie les semences -, soucieux de mener à bien l’intégralité de sa tâche domestique.

Les oiseaux par dizaines, perchés sur la grande enseigne du grand supermarché, comme une touche de poésie publicitaire. Mais les oiseaux saboteurs qui chient sur les clients qui passent sous l’enseigne au moment d’entrer dans la galerie marchande.

L’araignée touchante d’un matin d’automne pluvieux qui, alors qu’il n’y a personne d’autre pour le faire, me remonte le moral un instant, me fait sourire avec sa danse de l’enroulement de mouchelette en fil collant sur fond de musique de J. S. Ondara qui passe à la radio.

L’âne, qui aime courir derrière ma voiture quand je la descends près de la maison par le chemin cabossé qui passe dans son parc… Au moment de faire demi-tour pour reculer vers la maison, je l’ai en général semé, mais le temps de faire la manœuvre, le revoilà, qui m’empêche de reculer en se tenant derrière l’auto, puis en se roulant par terre – si je n’ai pas reculé assez vite pour le chasser, et assez doucement pour ne pas le cogner. L’âne, qui cette fois-ci a fait si vite entre le moment où je l’ai perdu de vue en descendant et le moment où j’ai manœuvré, que lorsque je reculais, il s’ébattait déjà dans la poussière à terre, hors de mon champ de vision. Ça a fait blong quand je l’ai heurté et je n’ai pas tout de suite compris ce que c’était. J’en ai frémi en le découvrant qui se relevait – tout à coup rudement pressé de me laisser la voie libre -, puis ri de bon cœur quand j’ai constaté que ce grand comique n’avait pas de plaie et ne boitait aucunement.

Tant d’autres, de près ou de loin, qui font que le quotidien est plus riche, la vie plus complexe et savoureuse…

Avec les bêtes – 18

16 novembre 2018

Ils ont beau être chics – ou tout du moins cleans – de la tête aux pieds, c’est en ville, loin de la nature, que l’animalité des humains me semble la plus évidente : troupeau sans berger canalisé par les escalators et s’agglutinant dans la gare ferroviaire aux points de distribution de nourriture et aux radiateurs verticaux pour assouvir leurs instincts les plus élémentaires.

Comment dès lors s’étonner qu’en animaux d’élevage, ces humains-là n’en finissent plus de développer une forte empathie pour les autres bêtes élevées – le terme, certes impropre, serait à revoir -, elles, par les humains ? Et l’anthropomorphisme d’aller bon train, terreau d’une doctrine de notre époque, le véganisme, coupée d’une partie progressiste du réel – l’agroécologie paysanne – qui est à l’écoute de la nature des bêtes et qui, si la société s’articulait autour de ses pratiques, serait générateur de libération humaine (au moins un peu).

Avec les bêtes – 17

8 septembre 2018

Découverte émouvante dans un petit chêne d’un drôle de joli nid d’oiseau fabriqué en fibres synthétiques bleues de ficelles à ballots. Pas si drôle finalement en pensant aux volatiles marins qui crèvent d’ingurgiter trop de particules de plastique. Triste vision en vérité en s’avisant de la marque que l’homo productivitus est en train de laisser au fer rouge sur la biodiversité planétaire, et en considérant l’utilisation fréquente que je fais, moi, de ces ficelles, animé pourtant d’une intention de récupération vertueuse.

Avec les bêtes – 16

28 mai 2018

Il y a des choses dont certains diront qu’elles n’arrivent pas pour rien. On peut ne pas adhérer à cette vision des choses et néanmoins apprécier la chance que ça nous donne de changer de point de vue, de faire différemment. Aussi, moi qui vis proche des bêtes mais ne m’y intéresse que peu – ne prends surtout à vrai dire pas le temps de le faire -, j’apprécie l’astreinte des soins insecticides que je prodigue aux ânes depuis quelques jours, avec de la terre de diatomée, pour s’éviter des plaies causées par des œstres dont ils font les frais chaque année. Le rituel, à renouveler deux fois par semaine, et qui ne peut se faire à la va-vite, est l’occasion d’un moment privilégié avec ces gros amateurs de contact, de papouilles et de gratouilles, et de bon grain aussi.

Avec les bêtes – 15

23 avril 2018

Ces crapauds que je découvre en ratissant le paillage de foin d’une faïsse de culture. Ces crapauds, blottis contre la terre humide, que je dérange, mais que cette fois-ci je n’ai pas occis. Ces crapauds, que je ne peux m’empêcher de prendre dans mes mains, sachant pourtant bien la dose de stress que ça leur procure (le liquide dont ils m’inondent alors parfois les doigts en témoigne). Ces crapauds dont je ne me lasse pas d’admirer les yeux de topaze, comme le dit si bien la chanson qui leur est dédiée. Ces crapauds et leurs petits doigts qui s’agrippent, ils me font penser à des nouveaux-nés humains, ils m’émeuvent autant que peut le faire un bébé tout frais et totalement vulnérable. Sans doute même plus, ma sympathie à leur égard n’étant pour le coup parasitée par aucune injonction sociétale de type « les batraciens tu chériras, devant eux tu fondras et gagatouilleras, sinon, gare à toi, un paria tu deviendras ! »

Avec les bêtes – 14

15 février 2018

J’accusais les chats de mal faire leur travail contre les rats, mais l’animal qui s’en prend aux agneaux, et depuis cette nuit également aux poules (deux cadavres gisent ce matin dans la cabane), est en réalité une jolie genette. Magnifique bestiole tachetrayée, elle a eu son heure de gloire par le passé auprès des humains pour les débarrasser des rongeurs d’intérieur. Désormais à nouveau sauvage, et protégée par la loi, je trouve amer quelle se soit peut-être, au fond, finalement attaqué à mes animaux parce que rats et souris manquaient…

Avec les bêtes – 13

8 décembre 2017

Chats de ferme ou bien de maison, nous faudra-t-il choisir ? Pour ma compagne, c’est tout choisi : si leur place est dehors la nuit et la distribution de croquettes limitée en journée, pas question de se priver de leur douce présence quand on est à l’intérieur. Moi, peu combattif, et sans doute trop amoureux de leur compagnie également, je me contente de déplorer les attentes devant la porte close ou la gamelle vide, en lieu et place de quelque chasse nécessaire. Surtout à l’heure où un nouveau-né faiblard chez les moutons sort condamné d’une bien mauvaise nuit parce que les rats lui ont consciencieusement grignoté l’anus et le bas de la queue.

Je sais aussi que le printemps verra les félins domestiques chasser de nouveau, le froid hivernal les encourageant davantage à se terrer en intérieur. La présence de chats errants, volontiers agressifs, autour de la maison, n’encourage pas non plus à laisser les nôtres un peu plus à leur merci… Ce qui serait le cas si on les sous-alimentait afin qu’ils chassent plus. Chats de maison ou de ferme, il nous faut bien sans doute accepter de posséder en la matière une sorte d’hybride tout ce qu’il y a de contemporain à l’heure de se soucier du bien-être animal.

Avec les bêtes – 12

30 août 2017

C’est par acquit de conscience que je fais la chasse aux trous de sangliers dans la clôture du parc des moutons. D’une part, j’aurais beau en rapiécer certains, les sauvages ouvriront toujours de nouveaux passages ; d’autre part il est fort probable que les moutons, tellement habitués à emprunter sans cesse les même chemins – et par là même à délaisser bien des endroits potentiellement nourriciers de leur grand territoire –, ne remarquent jamais qu’il leur est offert là clef en main des possibilités d’escapades affolantes. Tant mieux pour eux, peut-être, qu’un rien affole déjà. Et j’ai beau jeu moi-même, sans doute, de m’en moquer, leur ressemblant un peu sur ces traits de caractère.

Avec les bêtes – 11

23 août 2017

Le pauvre malheureux félin évoqué au printemps avait disparu. C’est sa momie que l’on retrouve, lovée dans un sac de copeaux. Copeaux qui auront visiblement absorbé les fluides et permis au corps de se dessécher sans pourrir. Une momie gueule grande ouverte et orbites vides, véritable masque de terreur pour sentiment de pitié post-mortem.

Avec les bêtes – 10

1er août 2017

Le feuilleton devait se clore par le déménagement de ma tente après un mois de camping aux jardins, la clôture a priori retapée comme il se doit désormais. Scène de fin idéale : moi, dormant à nouveau, bienheureux, auprès de l’amoureuse, dans un vrai lit. Mais qui dit feuilleton dit semble-t-il producteurs à l’affût d’une potentielle manne. La fin prendra donc forme de cliffhanger : c’est notre captage au ruisseau, là-haut dans la montagne, que les bestioles ont pris pour terrain de jeu la nuit dernière, privant d’eau par là même les cultures tant convoitées. Tremblons donc en attendant la suite !

Avec les bêtes – 9

15 juillet 2017

Moi qui adore les araignées, j’ai découvert que ça ne m’autorise pas à trop les ennuyer. Moi qui me moquais gentiment de tous ceux qui mettaient la moindre rougeur de leur épiderme sur le compte de piqûres d’araignées, j’ai compris que les araignées sont bel et bien capables de mordre quand on les dérange en train de se taper un bon gros criquet. Moi que les surprises déstabilisent, cette surprise-là (la morsure soudaine et assez forte) m’a fait rire. Rire tout seul et un peu nerveusement, mais rire franchement, brisant le calme de la nuit. Moi qui aimais pouvoir aisément déceler dans le noir toute une vie par le biais des nombreux petits points brillants sur les chemins nocturnes, reflets de ma lampe dans les yeux des araignées – d’une seule espèce pour dire vrai -, moi, je continuerai à aimer ça. Et de m’y être frotté, et piqué, me pousse à vouloir plus encore les connaître, ces intrigantes.

Avec les bêtes – 8

15 juillet 2017

Je commençais à trop y prendre mes aises sous cette toile de tente, à m’y sentir comme chez moi ; ça ne pouvait décemment pas durer. Un matin les marcassins m’ont donc rappelé que ce qui arrête une laie ne les concerne pas forcément, et que je dormirai sur mes deux oreilles seulement le jour où leur espèce ne fera plus de petits. Bonne nuit !

Avec les bêtes – 7

9 juillet 2107

Voici comment je m’amuse à reconstituer les choses : sous ma tente, dans les jardins, où je passe mes nuits depuis huit ou dix jours, je ronfle, bouge dans mon sommeil, parle peut-être. Et le sanglier, qui passe de l’autre côté de la clôture à la recherche d’une brèche, l’entend. Comme à son habitude lorsqu’il se sent découvert, il grogne… et me réveille en sursaut. Ça me fait bouger, et le bruit, qui achève d’inquiéter la bête, la fait fuir. Elle me laisse le cœur battant la chamade, l’échine à peine remise du gros frisson qui l’a parcourue, l’oreille aux aguets quelques minutes pour m’assurer que c’est bien le bruit de sa fuite qui est parvenu à mon ouïe. Je peux éventuellement sortir pour m’en assurer aussi avec les yeux, et accessoirement en profiter pour pisser un coup. Et le manège pourra être renouvelé l’une ou l’autre nuit, à heure non fixe.

Avec les bêtes – 6

7 juillet 2017

Tandis que spectaculairement, la vieille chatte meurt dans un geyser de pus – son kyste sur le crâne ayant soudainement crevé – les sangliers, eux, bravent la mort en faisant un boucan de tous les diables en croquant les prunes, avec leurs noyaux, à deux pas de la maison. Mais on ne chasse pas à cette période de l’année… et surtout pas moi. Alors je leur fais peur, me tenant néanmoins prêt à cueillir un marcassin si l’occasion se présente. Et elle se présente quand l’un de ces énergumènes se coince dans un grillage. Je n’ai qu’à me pencher pour m’en saisir, mais la peur d’une morsure me fait hésiter et donne le temps au chanceux de s’enfuir. Le lendemain, sa fratrie rôde de nouveau à deux pas de là.

Avec les bêtes – 5

1er juillet 2017

D’abord la pulsion : vouloir juste, et se voir le faire, lui éclater le crâne. Juste après, très vite, l’idée que non, on ne pourrait pas, on n’aimerait pas ça. Ça : lui faire payer. Ainsi, reste le désespoir d’avoir affaire à la nature. Une nature sourde à toute préoccupation humaine. Une nature matérialisée ici par un sanglier (ou plusieurs). Un sanglier entré dans les jardins qui a déplacé, bousculé, grignoté, déterré…

La phase de désespoir est plus longue, elle anesthésie d’abord, puis déborde sur celle de l’action qui vient nécessairement : replacer, replanter, rafistoler… en songeant que si l’on avait été plus prévoyant cet hiver en travaillant sérieusement sur la clôture (les lacunes sont connues, les cochons pas à leur première visite), il en serait sans doute autrement aujourd’hui ; en songeant que cela s’ajoute à tout ce que l’on trouvait déjà peu réussi aux jardins cette saison et qui ne va pas aider à alimenter la table d’hôtes – pour ce qui nous préoccupe à cette période de l’année. Alors il faudra acheter, à rebours de la logique paysanne qui veut que l’on produise le plus possible ce que l’on fait manger aux gens.

Ainsi, après la colère, après l’impuissance, survient le sentiment d’humiliation : je ne sais pas faire mon boulot correctement et ça va se savoir. Ainsi survient mon cauchemar, qui n’est heureusement vraisemblablement qu’en grande partie fantasme d’un esprit craintif. La bienveillance que je trouve en général à mon encontre – et qui fait sans doute écho à l’humilité et à l’avenance que je m’efforce d’exprimer – me ramènera comme toujours les pieds sur terre.