À table ! – 5

28 octobre 2018

Petit calendrier incomplet de mes pets :

Hiver : pets de choux – on élimine ou réduit considérablement l’effet ballonnant en les consommant lactofermentés – ; pets de topinambours – potentiellement dévastateurs, consommation très exceptionnelle et avec méthode.

Printemps : pets de cerises – 7 à 9 sur l’échelle de Sokolov suivant la maturité des fruits, dont la fermentation est chez moi le plus gros gage de puanteur.

Été : pets d’oignons – qu’on utilise allègrement dans la cuisine pour les hôtes, mais dont j’ai réduit considérablement la consommation le reste du temps.

Automne : pets de châtaignes – nombreux, sans caractéristiques particulières ; pets de raisin – moins malodorants que la fermentation intestinale de la cerise.

Toutes saisons : pets de pâté végétal aux champignons sauvages – peuvent monter à 9 sur l’échelle de Sokolov suivant les individus – ; pets de légumineuses – nombreux.

Le corps et l’esprit – 5

28 octobre 2018

Pourquoi le nier, j’aime péter. Rien de honteux à avouer que ça fait du bien par où ça passe. Tant mieux pour moi, qui suis sujet aux flatulences, semble-t-il, plus que le commun des mortels. On me rétorquera alors que je ne suis pas le seul concerné par ces gaz d’échappement et que chercher à les limiter serait une preuve de considération pour mes contemporains. Si je me permets d’aborder ici le sujet, c’est bien justement parce que j’aimerais exprimer qu’il y a selon moi des choses éminemment plus cruciales à faire par quiconque affirme se soucier du bien-être de ses semblables.

Certes, il faut en toute chose de la mesure, et je n’impose inconsidérément pas mes émanations anales à ceux que ça bouleverserait trop (par ailleurs le corps se discipline de lui-même quand parfois je me trouve à passer un moment avec des gens, et les pets, que je n’ai même pas eu à refouler – rien de plus désagréable -, se manifestent seulement après coup), mais qui n’est pas trop borné conviendra tout de même avec moi, je l’espère, que bien des odeurs fortes et persistantes sont autrement plus dérangeantes que le fumet vite dissipé d’un pet qui pue. Par ailleurs, celle ou celui qui ne produit que des gaz malodorants est je crois une personne malade qui devrait sans doute modifier sa manière de s’alimenter. Les pets de la plupart des gens naviguent selon les jours, le moral et la nourriture, entre 1 et 10 sur l’échelle de Sokolov (inspirée du personnage de Gainsbourg, et qui mesure la puanteur alors que, soit dit en passant, si l’on se fie au contenu du roman, elle devrait plutôt rendre compte de la force vibratoire), et ne sont bien souvent que le résultat anodin et inodore du travail efficace des bonnes bactéries de notre intestin. Quand on juge qu’ils puent trop, on peut ouvrir une fenêtre – ce qui est au passage le meilleur assainissant de l’air qui existe !

Restent les bruitages qu’on peut tout de même difficilement qualifier de pollution sonore quand on voit ce qui est subi en la matière un peu partout. Restent les bruitages, donc, appelés sciemment ainsi tant il y a de possibilités de variations selon la position, la taille de la poche de gaz et le séant de la personne concernée, et dont il serait dommage, je trouve, de ne pas s’amuser. Qui choisit de s’en désintéresser a néanmoins toute ma considération. Il n’y a juste pas de quoi s’offusquer que notre nature d’animaux se rappelle à nous aussi par le cul, cette partie de notre corps que l’on ne voudrait dévouée qu’à l’érotisme et à la séduction. Ce n’est pourtant pas incompatible, puisqu’on sait bien qu’en la matière la première chose à faire est de s’assumer.

Motifs d’émotion – 7

8 octobre 2018

Peu de choses m’inquiètent autant que les « t’inquiète » proférés nonchalamment par des gens qui justement m’inquiètent. L’élément masculin du couple qui va garder la maison et le domaine en notre absence est un de ces rassurants contre-productifs. Heureusement qu’il y a sa compagne… Mais il en faudrait considérablement plus pour que je daigne laisser sans boule au ventre mon si précieux lieu d’existence et de subsistance, mon précieux vulnérable aux diverses intempéries, au gel, au feu, mon précieux brinquebalant qui me laisse rarement souffler plusieurs mois sans m’offrir quelque problème matériel qu’il n’est déjà pas toujours évident de résoudre quand on connaît le lieu. Alors pour monsieur t’inquiète et sa compagne ?…

À table ! – 4

27 juin 2018

À l’approche des premières tables d’hôtes de l’année, ma compagne se met en quête de nouvelles recettes à y mettre en application. Une judicieuse sélection de plats nous assure déjà une reconnaissance renouvelée de nos hôtes mais elle veut perturber la routine, un peu. Comme nous prenons plaisir à montrer que l’on peut se remplir le ventre et se régaler de cuisine presque exclusivement sans viande et sans fromage (épices et aromates, légumineuses, fruits à coque et graines diverses, merci), il est bon de renouveler un peu l’offre, ou tout du moins de l’augmenter. Aussi s’ajouteront peut-être cette année des desserts au chocolat à base de sarrasin, des burgers soja-tahin et des tians aux classiques de la maison tels que les courgettes farcies au pâté végétal aux champignons, le couscous végé et sa sauce ail-menthe-persil-oignon-tamari-huile d’olive, les beignets d’amarante, de chénopode et de consoude ou ceux épicés aux pois chiche, la moussaka aux lentilles, le daal, la (très) bonne vieille soupe au pistou…

Ma compagne, aujourd’hui plus qu’à son habitude, cherche, essaie. Le reste de l’année, il faut bien le confesser, nous ne cuisinons que très basiquement, nous reposant sur la qualité gustative et nutritionnelle de nos produits pour faire simple et rapide, et consacrer le plus clair de notre temps aux travaux ou aux loisirs. Surtout moi en vérité, qui ne me lasse pas des salades et des poêlées de légumes commodes avec céréale et légumineuse, et qui cède facilement aux casse-croûte pain-fromage, tandis qu’à la fin de l’été je ne peux guère plus voir en peinture les bons plats qu’on a proposés à plusieurs reprises et dont on a fini les restes chaque midi.

Les deux restos que l’on s’est offerts ce mois-ci ont stimulé ma compagne par l’apparent raffinement de leur carte, par l’aspect travaillé des assiettes. J’ai pour ma part trouvé qu’on n’y mangeait pas mieux qu’à la maison, voire moins bien, si l’on savait ne pas se laisser séduire par les apparences. J’assume complètement la relative simplicité de notre cuisine familiale pour la table d’hôtes, persuadé par expérience que nous avons de quoi nous démarquer entre la convivialité du repas pris en commun, la fraîcheur et la qualité des produits, les recettes, l’esthétique fleurie, et le hola que l’on ose mettre sur l’utilisation du sel et du sucre – là où le bât blesse bien souvent, même dans les établissements visiblement attentifs à la qualité – et malgré certaines approximations dans les procédés d’élaboration qu’on ne pourrait sans doute pas imputer à des cuistots à plein temps.

À table ! – 3

25 février 2018

Dans les restaurants, en nous le demandant, la plupart du temps, on ne nous demande PAS ce que l’on a pensé de la nourriture. On ne nous demande rien, on ne nous parle même pas en vérité. Simplement, en obéissant à cette convention, on fait son travail. Notre travail en face est de répondre que ça a été, le ton choisi pour le dire nous laissant quelqu’infime latitude pour faire sentir un éventuel mécontentement. Ma compagne – qui est étrangère, nous l’excuserons – n’a pas su se tenir à sa place devant le serveur de l’hôtel impersonnel où nous avons dû (plutôt mal) dîner récemment. Elle a récolté, sous emballage courtois, la justification évasive, hypocrite et agacée qu’elle méritait. Na !

Quand un client qui vient de déguster ma cuisine, revient sur le stand pour me féliciter, personne ne lui a rien demandé. J’ai l’assurance que le compliment est sincère, et il me va droit au cœur. Cela arrive régulièrement, et je dois dire que je savoure la chose à sa juste valeur : tout le monde devrait recevoir des compliments pour le travail qu’il accomplit. Mais dans bien des domaines, on s’imagine je crois qu’un salaire est suffisant. Et si la flatterie ou les courbettes en tout genre sont à éviter, reconnaissons qu’on part de loin au pays des râleurs. Ceux dits fainéants, ceux dits trop exigeants, naviguent d’un rôle à l’autre parfois, et en toute mauvaise foi, au gré des confrontations… Pourtant un sourire ou un merci à-propos sont à même de les transfigurer subitement, j’en fais parfois l’expérience dans les commerces ou ailleurs.

À table ! – 2

25 février 2018

En foire bio, cuisinant des aliments à base de végétaux. Cette place pas si simple à faire reconnaître, entre vegans et gourmets carno-centrés.

Parmi les premiers, qui fustigent l’élevage, certains reconnaissent que l’élevage à petite échelle pratiqué chez moi – je ne le leur cache pas, encore faut-il qu’ils veuillent le voir – satisfait à leurs exigences morales. Mais que ce n’est plus, dès lors, de l’élevage. Confusion symptomatique du fatras idéologique à l’œuvre dans ce mouvement, qui empêche ses adeptes de voir que le problème n’est pas l’utilisation des animaux mais ce que l’industrie en a fait… Et ce que l’industrie sous la coupe de la finance fait de tout en général, et plus particulièrement de tout ce qui a trait au vivant.

On n’y voit pas plus clair chez les accros à la bidoche, qui se sentent agressés par l’existence de pâtés végétaux, s’obstinant à voir en l’humain un carnivore quand sa véritable nature omnivore lui autorise bien plus. Tant de possibilités pour se nourrir, tant d’occasions de faire preuve de curiosité et de créativité… Que demande le peuple ? De s’en tenir aux traditions, malheureusement, trop souvent. Faut croire qu’on ne nous apprend pas…

Là-dessus en arrivent, messianiques, des qui clament « enfin une vraie alternative à la viande ! » pour vendre la fausse bonne idée censée sauver l’humanité de la pénurie alimentaire : l’élevage des insectes. Et comment s’étonner que certains n’identifiant même pas le poisson ou le poulet (!) comme de la viande, la confusion là aussi règne en maîtresse ? (Comment s’étonner qu’on la fasse régner quand il y a un marché à défendre ou à développer, une industrie à protéger ou à créer ?) Toute chair animale est viande, et les nécessaires alternatives – équilibrées, écologiques – aux régimes sur-carnés, qui s’imposent partout où le développement économique va bon train, sont connues depuis des lustres et sont végétales.

Cela étant intégré, ne perdons pas de vue ce que l’agriculture doit à l’élevage et ne nions pas ce que lui et l’alimentation carnée véhiculent en terme de culture séculaire.

À table ! – 1

12 août 2107

Le laïus, à la table d’hôtes.

Nous leur disons que l’agneau que nous allons manger vient de notre ferme. Que nous ne servons pas souvent de la viande à table car nous n’en mangeons pas souvent nous-mêmes. Que nous la considérons comme un mets d’exception qui se doit de rester rare pour satisfaire les besoins de tous. Que nous consommons principalement celle d’animaux que nous avons élevés et tués. Que nous l’avons fait avec le plus grand respect possible pour la bête, et nous les prions de faire preuve du même respect en mangeant correctement les morceaux, en rognant les os. Que chacun est libre et responsable de la part qu’il se sert, et que, comme le dit l’affiche home made derrière eux, la politesse (envers le cultivateur, l’éleveur, le cuisinier, le plongeur…), ici, c’est de lécher son assiette ! Bon appétit.

La mise au point, à qui veut l’entendre.

Non, aucun être n’a de vie à vivre. Rien n’a été programmé en la matière, si l’on s’en tient à ce que l’on a pu observer, hors superstitions plus ou moins célèbres. Non, manipuler les animaux (l’élevage), qui n’ont pas conscience de cet état de fait, n’est pas révoltant. Non, tuer une bête – sevrée, comme le sont les très vieux agneaux qu’on mange chez nous – n’est pas un drame ; ni pour elle, qui ne sera plus, ni pour ses semblables, qui ne s’attachent pas les unes aux autres comme les humains peuvent le faire. Dans les cycles naturels, la mort d’êtres vivants favorise l’existence d’autres organismes, et la Vie au sens large. L’humain est, malgré ses cultures, ses lois, ses croyances, un être de nature, et le plus préoccupant moralement est quand il cherche à s’extraire de cette place. Le véganisme béat en est une manifestation possible. Et si elle ne semble pas peser lourd face à celles du capitalisme et du techno-scientisme associés, prenons la peine de constater comme ceux-ci sont à même de s’en servir pour artificialiser encore un peu le monde, en nous mettant, par exemple, de la viande développée in vitro, et brevetée, dans les assiettes. Il sera toujours temps alors de se raconter des histoires autour de la table, entre amis ou aux enfants, sur le temps où il y avait des paysans.