En ville – 4

22 avril 2019

Sans doute ne m’en fallait-il pas autant pour me rappeler aux choses déplaisantes de la ville. Pas autant de macbooks dans les cafés et de veganeries données à manger, tous symboles de la gentrification galopante des anciens quartiers populaires de la cité. Pas autant de nourriture fade, uniformisée et importée dans les boutiques et les restaurants, à plus forte raison sans doute dans ce pays où la saison pour cultiver est très courte. Pas autant de lumières allumées, de chauffage démesuré. Et pas de SDF du tout, on peut rêver quand la réalité en la matière est à ce point à pleurer.

Sans doute n’avais-je pas non plus besoin d’y rester aussi longtemps, mais ça aide… Cinq mois à vivre sous cloche, hors-sol, quasi privé de contact avec le vivant non humain (et non écureuil), à n’avoir rien à faire d’autre dehors que d’aller d’un point A à un point B. Cinq mois à lire, écouter des podcasts, écrire et dessiner, à délaisser mon corps, à ramollir.

C’est acté, j’ai ramolli, maigri un poil, perdu du muscle : je peux me savonner correctement le dos dans la douche, comme je le faisais avant de me faire paysan. J’ai pris le pli de cette nouvelle vie, j’ai de multiples plaisirs. Mais pas de satisfaction véritable. Je ne me sens pas plus fait pour la ville qu’il y a dix ans, mais j’ai recommencé à m’y adapter. J’ai le sentiment qu’à s’y trouver à même d’être régulièrement confrontés de près ou de loin aux autres et à leurs problèmes, les sensibles, les empathiques, les bienveillants ne peuvent que mal vivre la ville. Je me sens de ce camp – même si j’ai ma carapace. Je pense que beaucoup le sont, et que la ville est leur malédiction. Ils s’y font. On s’y fait. Je m’y suis fait. Et maintenant ?

Je pense regretter la bibliothèque, tellement mieux achalandée en bandes dessinées que celle de la petite ville française où je retournerai bientôt. La regretterai-je vraiment ? Faute de pognon, je n’ai presque pas vu de spectacles, été très peu au cinéma. Peut-être même moins que dans les Cévennes où ce qui y vient coûte trois fois rien et permet de rencontrer ses voisins éloignés…

Tout me dit que ma vie est bien où je la mets en œuvre depuis une décennie, mais à avoir pris mes distances presque une demi-année, à n’avoir pu faire autrement que de planter de nouvelles petites racines dans mon environnement d’alors – et cela d’autant que ces vacances offraient en l’occurrence un terreau confortable loin de la rocaille des multiples contraintes du quotidien parfois retors du paysan aux petits moyens -, j’ai désormais une grande appréhension du retour prochain aux affaires courantes de l’autre côté de l’océan. J’ai le sentiment que quoique foncièrement inadapté à l’urbanité, je ne saurai plus vivre loin de ses commodités. Et le goût pour le confort (matériel, culturel, spirituel, relationnel…) de m’apparaître comme un ogre non rassasiable qui va dévorer jusqu’à l’humanité… Moi pas le dernier.

Auteur : zazar

Après des études dédiées à l’illustration et quelques années de pratique de la bande dessinée, je me réinstalle fin 2008 sur la petite ferme écolo (en AB et sous mention Nature et Progrès) où j’ai grandi, dans les Cévennes. Mes parents y avaient élu domicile en 1973, achetant alors une ruine et un terrain envahi par les pins. 40 ans plus tard, ils peuvent me léguer un lieu habitable, vivant, agréable… Une petite oasis de verdure isolée au cœur d’une forêt plutôt aride, et un outil de travail efficient – quoiqu’un peu brinquebalant. Ainsi, en 2013, je reprends officiellement l’activité agricole de mes illustres géniteurs qui ont déménagé dans la bourgade avec services la plus proche. Je suis accompagné par ma compagne dans nos activités de cultures (fruits et légumes), de petit élevage, de valorisation de ces productions en cuisine (dans des foires bio et à la ferme) et d’Accueil Paysan en camping et chambres. Une bande dessinée dédiée à nos premières années paysannes, le « Carnet de Cambrousse », est à paraître. Le JOURNAL PAYSAN, lui, tout de texte, et sans doute plus intime, prend la suite de la BD, mais peut s’appréhender sans l’avoir lue. J’ai 37 ans quand je le démarre, le 8 avril 2017.