6 mars 2019
Cette escapade hivernale loin de nos activités à la ferme nous coûtera, à ma compagne et à moi, financièrement parlant, plus que nous ne l’avions prévisionné à la grosse louche avant de partir. Aussi nous faut-il faire, malgré quelques sous en réserve, un peu attention à nos dépenses…
Nous faisons désormais régulièrement les poubelles que certaines épiceries de notre quartier laissent ouvertes à cet escient (les autres les ferment, semble-t-il, ou ont des compresseurs d’ordures) et si à côté de ça je ne veux pas me résoudre à ne pas acheter bio en grande majorité, il nous est plaisant de trouver bien des fruits et légumes gratuits – souvent même bio -, de faire ainsi des économies et d’éviter un gaspillage alimentaire déplorable (sans compter le scandale qu’est l’absence de compostage de ces denrées organiques). Nous mangeons désormais mexicain, états-unien, antisocial, génétiquement modifié et chimique plus souvent qu’à notre tour, mais c’est pour la bonne cause ! Pourtant, preuve s’il en fallait que nous ne sommes pas dans la misère (et que nous avons trop le goût des bonnes choses encore agrippé aux papilles), nous nous payons tout de même le luxe de laisser dans les bennes ces tomates, fraises, bleuets, mûres et framboises de culture absolument insipides si ce n’est franchement dégueulasses. Je me suis même assez vite lassé des bagels que je trouve dans la benne de la boulangerie spécialisée dans leur confection et qui jette exclusivement des exemplaires mal formés ou trop cuits de la version classique à la farine blanche. Je lui préfère de loin le modèle au blé complet, moins écœurant mais beaucoup moins populaire, donc moins cuisiné, et par conséquent moins jeté.
Nous mangeons moins de viande qu’en France, où bien que nous n’ayons qu’à nous servir d’agneau ou de poule de notre propre ferme dans le congélateur, nous ne faisons déjà pas des orgies. Moins de fromage aussi, relativement au prix exorbitant de la majorité de ceux qu’on trouve ici. Je le vis différemment ici parce que la viande se pavane dans les magasins (que je fréquente bien plus souvent qu’en France) et surtout sur les devantures de certains restaurants, ou simplement dans leur nom. Il y a aussi que, faute de produits de qualité comme ceux de nos jardins, il y a moins d’excitation à envisager la cuisine et les repas (que j’aime habituellement simples, préférant mettre temps et énergie à autre chose) et ainsi plus la tentation de se faire nourrir par autrui. À cela nous n’avons cédé qu’en de rares circonstances jusqu’à présent, le budget en prenant un sacré coup à chaque fois.
Les tentations de la ville sont aussi culturelles et si nous jouissons de la bibliothèque ou de la piscine gratuites, de certains spectacles à un dollar la place dans les Maisons de la culture, il est évidemment un poil frustrant de ne pouvoir se permettre certaines sorties fort prometteuses. Ainsi va la ville, génératrice de frustration, et à plus forte raison la ville québécoise, qui, encore sous le joug de l’hiver (plus soft) en mars, n’offre que peu d’échappatoire aux espaces multi-arpentés des intérieurs, à leur manque de verdure et à leur chaleur artificielle…
Peut-être aurais-je dû me mettre aux patins à glace, mais avant que tout cela ne commence à me peser plus sûrement, je ne pressentais guère d’intérêt à aller tourner en rond sur une mare gelée. Cela dit l’honnêteté m’oblige à dire que si la santé de ma compagne le lui avait permis, je me serais volontiers initié à la chose en sa compagnie, et que j’ai fait des glissades – tout aussi vaines que le patin, mais ne nécessitant pas apprentissage – avec quelqu’un d’autre et avec grand plaisir au pied du parc-montagne de la ville. La ville, cette jungle, est pour moi et sans doute bien d’autres timides, d’autres inadaptés, un buisson piquant plutôt qu’un bosquet chargé de fruits. Pour cela, je me félicite d’avoir désormais construit ma vie à la campagne et espère plus que jamais que je pourrai l’y poursuivre.