3 juin 2018
Ça meurt autour de moi, des vieux et des moins vieux, pas des très proches, mais des proches de proches. Ou des proches de proches de proches. Ça se rapproche : la mère de ma compagne vit sans doute ses derniers mois (loin de nous, en Amérique du Nord).
La voisine de forêt, elle, vient de perdre son grand frère, et pleure devant moi. Et moi, qui ne passe la voir que très rarement, voilà que je me souviens qu’on a un peu été frère et sœur également, étant enfant et adolescente, quelques années durant, alors qu’elle habitait à la ferme avec sa famille. Voilà que ça me revient.
(Comme on peut enterrer les choses.)
Voilà que je perçois sous un éclairage nouveau ce jour d’automne où elle s’est fendue d’un texto de reproches à l’encontre de ma compagne et de moi-même. Son message mettait l’accent sur le lien distendu entre nous, dont visiblement elle nous jugeait plus responsables qu’elle du fait qu’on passe régulièrement près de sa maison sans s’arrêter et qu’on prétende lui demander des choses. (On venait de lui proposer, comme d’autres fois avant cela, de nourrir nos animaux pendant qu’on allait passer du temps à cuisiner et commercer sur une foire bio. Où était le problème, puisqu’on la rémunérait pour cela ? En quoi être voisins nous obligeait-il à être plus proches que ça ?)
Peut-être suis-je encore l’enfant d’hier dans ses yeux ; c’est ce que je crois comprendre aujourd’hui. Mais moi j’ai enterré cet enfant et j’en suis devenu un nouveau. Moi, j’ai oublié cet enfant parce que je me suis échiné à en devenir un autre sous des atours de grande personne : un enfant utile en quelque sorte, un outil quotidien pour survivre au vieillissement. Et peut-être ce n’est pas ce qu’on attend d’un gentil garçon comme moi, d’avoir sacrifié ses souvenirs pour une jeunesse renouvelée.
Qu’on se rassure tout de même, si c’est nécessaire, en constatant qu’à la lumière de quelques larmes, un vieux bout de mémoire abîmé peut refaire surface…