Motifs d’émotion – 5

20 mars 2018

C’est une de ces périodes où les impératifs nouveaux s’ajoutent à tout ce que j’ai repoussé (au sortir de l’hiver c’est on ne peut plus banal). Quelques (auto) coups de pied aux fesses sont un remède adéquat. Mais le sentiment d’être dépassé génère abattement, et la fatigue contrarie l’antidote. Me voici cogitant déraisonnablement.

Aussi n’accueillé-je pas à leur juste valeur ces quelques journées solidaires à la ferme sous la houlette de mon père ; sessions de travail collectif organisées pour la remise à neuf d’une clôture qui a cessé de représenter un obstacle pour les sangliers depuis longtemps. En l’état de mes humeurs, je me trouve honteux de ne pas encore avoir assez travaillé pour détenir les notions nécessaires à la supervision de la tâche ; honteux de ne pas avoir su tisser les liens qui me permettraient d’être le moteur de cette journée et non simplement son bénéficiaire ; honteux que d’autres donnent du temps et de l’énergie pour moi qui utilise beaucoup mon temps et mon énergie à des fins égoïstes ; honteux enfin de ces hontes infondées, voire franchement ridicules, qui en disent plus sur mes blocages qu’elles ne se font l’écho d’une situation préoccupante.

Pourtant, prenant moi-même du plaisir à faire des cadeaux, je sais accepter les cadeaux des autres. Je sais que compte avant tout la joie de celui qui offre et je ne fais jamais mine de me sentir gêné ou de le refuser quand le présent semble trop généreux. Mais ces journées solidaires émanent d’une demande de ma part, m’obligent à me montrer nécessiteux quand j’estime que d’autres le sont bien plus… La culpabilité est lâchée, qui n’est jamais bien loin quand il s’agit d’aller ausculter mes petites névroses.

Dommage pour mon manque de capacité à vivre pleinement ce type d’évènement collaboratif. Ce que je sais néanmoins fort bien masquer dans l’action et dont je sais retirer tout le positif après coup – et pas seulement du fait du travail accompli. Je sais voir tout le potentiel de lien social et d’estime de soi que c’est à même de générer ; choses dont les personnes qui seraient isolées socialement sans ça, ou qui le sont géographiquement, ont tout à gagner au pays de l’habitat dispersé et des petites routes qui serpentent dans des vallées profondes. Et je sais ce qu’elle m’apporte également, en quoi elle m’enrichit, la rencontre de ces humain-e-s volontaires.

Auteur : zazar

Après des études dédiées à l’illustration et quelques années de pratique de la bande dessinée, je me réinstalle fin 2008 sur la petite ferme écolo (en AB et sous mention Nature et Progrès) où j’ai grandi, dans les Cévennes. Mes parents y avaient élu domicile en 1973, achetant alors une ruine et un terrain envahi par les pins. 40 ans plus tard, ils peuvent me léguer un lieu habitable, vivant, agréable… Une petite oasis de verdure isolée au cœur d’une forêt plutôt aride, et un outil de travail efficient – quoiqu’un peu brinquebalant. Ainsi, en 2013, je reprends officiellement l’activité agricole de mes illustres géniteurs qui ont déménagé dans la bourgade avec services la plus proche. Je suis accompagné par ma compagne dans nos activités de cultures (fruits et légumes), de petit élevage, de valorisation de ces productions en cuisine (dans des foires bio et à la ferme) et d’Accueil Paysan en camping et chambres. Une bande dessinée dédiée à nos premières années paysannes, le « Carnet de Cambrousse », est à paraître. Le JOURNAL PAYSAN, lui, tout de texte, et sans doute plus intime, prend la suite de la BD, mais peut s’appréhender sans l’avoir lue. J’ai 37 ans quand je le démarre, le 8 avril 2017.