Le pays – 6

23 novembre 2017

Le mazet, avec le bout de terrain, qu’ils entretiennent plutôt bien (débroussaillement, plantations), lui en parle comme d’une danseuse. Elle, ne dit trop rien de personnel.

Ce sont nos voisins. Des voisins de forêt (pas trop près), des voisins de la ville qui viennent en vacances et qui s’activent. Il n’y a rien à ajouter. C’est bien.

Ils passent chez nous pour aller à la rivière, naturellement (c’est le plus simple). Mais ils se sentent obligés, quand je les croise, d’essayer de me faire croire qu’ils comptent bientôt manger à notre table d’hôte (ils n’y sont venus qu’une fois il y a des années, mais fréquentent finalement plus volontiers le restau du village). C’est moins bien, c’est en trop, ça révèle un malaise. Et quand nous leur parlons de l’hypothétique installation de la yourte d’un ami sur un bout de terre à nous, proche du leur, ce qui ne demandait qu’à être révélé l’est : il ne faudrait quand même pas qu’on empiète trop sur leur tranquillité. C’est elle qu’ils cherchent ici, loin de leur trépidante cité.

Pourtant, une yourte habitée sur leur terrain, ça existe déjà, mais c’est de leur fait, et c’est loin du mazet, et c’est en échange de tâches par les habitants de la tente mongole. Surtout, c’est de leur fait. Comme les ultra-riches créent des fondations, ils ont leur œuvre de bienfaisance, leur entreprise de déculpabilisation sociale. L’essentiel restant que les vaches soient bien gardées, la propriété bien gérée. Et les arbres bien coupés : ils m’en ont donné sur pied, pour bois de chauffe, qui leur bouchaient la vue. Générosité bienvenue mais calculée. Jusqu’à quel point ? Je n’ai pas vraiment envie de me poser la question, et leur souhaite à eux, avant tout, comme première tranquillité, de manger où ça leur plaît et d’assumer leur usage sans contrepartie d’un sentier qui passe chez quelqu’un. On devrait s’en porter tous très bien !

Je le leur souhaite sans leur dire, trop effrayé par le malaise qu’une telle conversation ne manquerait pas de générer dans un premier temps.

Auteur : zazar

Après des études dédiées à l’illustration et quelques années de pratique de la bande dessinée, je me réinstalle fin 2008 sur la petite ferme écolo (en AB et sous mention Nature et Progrès) où j’ai grandi, dans les Cévennes. Mes parents y avaient élu domicile en 1973, achetant alors une ruine et un terrain envahi par les pins. 40 ans plus tard, ils peuvent me léguer un lieu habitable, vivant, agréable… Une petite oasis de verdure isolée au cœur d’une forêt plutôt aride, et un outil de travail efficient – quoiqu’un peu brinquebalant. Ainsi, en 2013, je reprends officiellement l’activité agricole de mes illustres géniteurs qui ont déménagé dans la bourgade avec services la plus proche. Je suis accompagné par ma compagne dans nos activités de cultures (fruits et légumes), de petit élevage, de valorisation de ces productions en cuisine (dans des foires bio et à la ferme) et d’Accueil Paysan en camping et chambres. Une bande dessinée dédiée à nos premières années paysannes, le « Carnet de Cambrousse », est à paraître. Le JOURNAL PAYSAN, lui, tout de texte, et sans doute plus intime, prend la suite de la BD, mais peut s’appréhender sans l’avoir lue. J’ai 37 ans quand je le démarre, le 8 avril 2017.