La vraie vie – 1

25 juin 2017

Qu’est-ce que cet homme a dit à l’écoute de ma description des activités du moment ? Il a dit « c’est la liberté », et ça n’avait tellement aucun rapport que ça m’a laissé sans voix. La liberté d’être son propre patron, presque son seul employé, d’être seul juge (avec ma compagne) de la nature et de la priorité de mes actes ? Peut-être bien, mais rien dans ce que je lui décrivais n’était de nature à la mettre en avant. Et qui n’est pas de trop mauvaise foi reconnaît que les chaînes sont partout, souvent plus spirituelles que matérielles d’ailleurs – alors la liberté ? Et si j’en vois, moi, de la liberté dans ce que je fais, je n’en connais que trop bien les limites aussi. L’une comme les autres ne sont pas connues de cet homme, qui me connaît peu en vérité. Mais c’est un homme, un de plus, qui veut avoir une idée sur tout, et particulièrement sur la bonne voie des choses. C’est, pour un habitant du pays, travailleur du bois, de l’arbre à la charpente ou à l’objet d’intérieur, néo-rural de la génération de mes parents, qui comme eux, voire plus encore, a bossé dur, et bosse encore, même retraité ; c’est un moyen, je le crois, d’associer sans le dire nos situations mutuelles de gros travailleurs en contact avec la nature, et par ce biais de voir sa propre vie sous l’angle de cette fameuse liberté. C’est une parole en définitive qui ne m’était pas adressée.

Sa variante venant d’étrangers – vacanciers, visiteurs, employés occasionnels – est celle qui consiste à qualifier ma vie de vraie ou d’authentique : proximité avec la nature, lien aux saisons, travail et quotidien mêlés (vie-travail) en sont les manifestations. Ce qui révèle avant tout non pas tant les frustrations que leur procure la leur (pas forcément si pesantes), mais surtout l’idée qu’ils se font de ce qu’elle devrait être, du décalage entre le réel et leur idéalisme plus ou moins dogmatique et fantasmagorique. Oui, c’est une affaire de fantasmes, et m’en voici élu l’objet à mon corps défendant. Démission : impossible. Le mythe est plus fort que toi.

Auteur : zazar

Après des études dédiées à l’illustration et quelques années de pratique de la bande dessinée, je me réinstalle fin 2008 sur la petite ferme écolo (en AB et sous mention Nature et Progrès) où j’ai grandi, dans les Cévennes. Mes parents y avaient élu domicile en 1973, achetant alors une ruine et un terrain envahi par les pins. 40 ans plus tard, ils peuvent me léguer un lieu habitable, vivant, agréable… Une petite oasis de verdure isolée au cœur d’une forêt plutôt aride, et un outil de travail efficient – quoiqu’un peu brinquebalant. Ainsi, en 2013, je reprends officiellement l’activité agricole de mes illustres géniteurs qui ont déménagé dans la bourgade avec services la plus proche. Je suis accompagné par ma compagne dans nos activités de cultures (fruits et légumes), de petit élevage, de valorisation de ces productions en cuisine (dans des foires bio et à la ferme) et d’Accueil Paysan en camping et chambres. Une bande dessinée dédiée à nos premières années paysannes, le « Carnet de Cambrousse », est à paraître. Le JOURNAL PAYSAN, lui, tout de texte, et sans doute plus intime, prend la suite de la BD, mais peut s’appréhender sans l’avoir lue. J’ai 37 ans quand je le démarre, le 8 avril 2017.