La vraie vie – 3

25 mai 2019

Loin de la ferme, je me suis senti rester paysan. À la retrouver, je ne sais plus trop bien ce que je suis. En ville je continuais à me penser paysan alors que je devenais autre chose. J’ai retrouvé ma ferme un peu en citadin finalement, et en paysan un peu largué.

En ville, je me suis reposé sur une certaine simplicité de l’existence, mais cette vie molle m’a usé. À la ferme, je retrouve la vie relativement dure sur laquelle j’ai fondé mon équilibre. Mais j’ai désappris cette vie et c’est un choc que de retrouver la complexité de l’imbrication, de l’interdépendance des choses, des tâches et des êtres ; et la fragilité des équilibres créés.

Tous les problèmes qui surviennent et sont réglés plus ou moins au fur et à mesure habituellement m’attendaient en file indienne, sagement mais fermement revendicatifs. Mutiques ou presque, l’internet, le téléphone et la voiture donnèrent à constater leurs pannes respectives, la panne de l’un ne facilitant pas la résolution de celle des autres, et la globalité de l’affaire ne me mettant guère en condition de me montrer confiant pour la reprise. Ajoutons à cela quelques tâches négligées ou bâclées par les gardiens du lieu et ma phobie sans nom pour les démarches administratives consubstantielles au retour et à la nécessaire réaffiliation agricole… La coupe était pleine, qui me promit de l’anxiété pour un bon moment.

En ville – 4

22 avril 2019

Sans doute ne m’en fallait-il pas autant pour me rappeler aux choses déplaisantes de la ville. Pas autant de macbooks dans les cafés et de veganeries données à manger, tous symboles de la gentrification galopante des anciens quartiers populaires de la cité. Pas autant de nourriture fade, uniformisée et importée dans les boutiques et les restaurants, à plus forte raison sans doute dans ce pays où la saison pour cultiver est très courte. Pas autant de lumières allumées, de chauffage démesuré. Et pas de SDF du tout, on peut rêver quand la réalité en la matière est à ce point à pleurer.

Sans doute n’avais-je pas non plus besoin d’y rester aussi longtemps, mais ça aide… Cinq mois à vivre sous cloche, hors-sol, quasi privé de contact avec le vivant non humain (et non écureuil), à n’avoir rien à faire d’autre dehors que d’aller d’un point A à un point B. Cinq mois à lire, écouter des podcasts, écrire et dessiner, à délaisser mon corps, à ramollir.

C’est acté, j’ai ramolli, maigri un poil, perdu du muscle : je peux me savonner correctement le dos dans la douche, comme je le faisais avant de me faire paysan. J’ai pris le pli de cette nouvelle vie, j’ai de multiples plaisirs. Mais pas de satisfaction véritable. Je ne me sens pas plus fait pour la ville qu’il y a dix ans, mais j’ai recommencé à m’y adapter. J’ai le sentiment qu’à s’y trouver à même d’être régulièrement confrontés de près ou de loin aux autres et à leurs problèmes, les sensibles, les empathiques, les bienveillants ne peuvent que mal vivre la ville. Je me sens de ce camp – même si j’ai ma carapace. Je pense que beaucoup le sont, et que la ville est leur malédiction. Ils s’y font. On s’y fait. Je m’y suis fait. Et maintenant ?

Je pense regretter la bibliothèque, tellement mieux achalandée en bandes dessinées que celle de la petite ville française où je retournerai bientôt. La regretterai-je vraiment ? Faute de pognon, je n’ai presque pas vu de spectacles, été très peu au cinéma. Peut-être même moins que dans les Cévennes où ce qui y vient coûte trois fois rien et permet de rencontrer ses voisins éloignés…

Tout me dit que ma vie est bien où je la mets en œuvre depuis une décennie, mais à avoir pris mes distances presque une demi-année, à n’avoir pu faire autrement que de planter de nouvelles petites racines dans mon environnement d’alors – et cela d’autant que ces vacances offraient en l’occurrence un terreau confortable loin de la rocaille des multiples contraintes du quotidien parfois retors du paysan aux petits moyens -, j’ai désormais une grande appréhension du retour prochain aux affaires courantes de l’autre côté de l’océan. J’ai le sentiment que quoique foncièrement inadapté à l’urbanité, je ne saurai plus vivre loin de ses commodités. Et le goût pour le confort (matériel, culturel, spirituel, relationnel…) de m’apparaître comme un ogre non rassasiable qui va dévorer jusqu’à l’humanité… Moi pas le dernier.

Mes rouages – 4

23 mars 2019

Je suis aujourd’hui, en ville, dans une frustration de solitude que je n’avais peut-être jamais atteinte auparavant. Le regard des autres est pour moi un poids très important que je ne peux supporter qu’en m’octroyant à côté un temps conséquent d’absolue solitude, de tranquillité sans contrainte, soit dans le cadre de mon quotidien et loin des tâches importantes.

C’est un besoin très contraignant, et s’il n’est pas parfaitement comblé sur la ferme, je m’y accommode tout de même pas mal du temps passé seul à des tâches extérieures peu coercitives – et des pauses que je peux y prendre –, des escapades de ma compagne chez des médecins en ville, de nos différents rythmes de vie qui me laissent du temps dans la maison également…

Ici, notre appartement est trop petit pour que la présence de ma compagne ne soit pas un poids, et ce poids n’est pas vraiment allégé par mes temps de présence à l’atelier, où il y a presque toujours quelqu’un d’autre, et où, quoi qu’il en soit, je ne me sens pas à l’aise comme chez moi. C’est dans la rue, le temps de m’y rendre et d’en revenir, ou lors de quelques escapades, que je suis le plus seul : c’est là qu’il m’est le plus facile de faire abstraction des autres, que je ne connais pas et desquels par conséquent je n’ai pas à interroger l’attente vis-à-vis de moi (le fond de mon problème sans doute). Mais il fait froid dans la rue, j’y marche vite, je ne m’y attarde pas… et, encore une fois, je ne m’y sens pas chez moi.

Le printemps arrivant tout doucement, peut-être pourrai-je prochainement y respirer un peu plus (j’y flâne déjà un peu, les jours où il ne gèle pas). Reste que ça ne suffira pas, et que j’ai grand hâte, sur la question, de retrouver mon refuge cévenol !

Je m’amuse parfois à me demander lequel je préfèrerais d’un monde où je serais absolument seul et d’un monde où au contraire toute solitude me serait refusée. Il est pourtant évident que ma crainte des autres est le corollaire au fait que je me sens avant tout vivant via leur regard. En témoigne ce besoin, semble-t-il impérieux, de donner à lire sur mon quotidien et mes cogitations…

En ville – 3

6 mars 2019

Cette escapade hivernale loin de nos activités à la ferme nous coûtera, à ma compagne et à moi, financièrement parlant, plus que nous ne l’avions prévisionné à la grosse louche avant de partir. Aussi nous faut-il faire, malgré quelques sous en réserve, un peu attention à nos dépenses…

Nous faisons désormais régulièrement les poubelles que certaines épiceries de notre quartier laissent ouvertes à cet escient (les autres les ferment, semble-t-il, ou ont des compresseurs d’ordures) et si à côté de ça je ne veux pas me résoudre à ne pas acheter bio en grande majorité, il nous est plaisant de trouver bien des fruits et légumes gratuits – souvent même bio -, de faire ainsi des économies et d’éviter un gaspillage alimentaire déplorable (sans compter le scandale qu’est l’absence de compostage de ces denrées organiques). Nous mangeons désormais mexicain, états-unien, antisocial, génétiquement modifié et chimique plus souvent qu’à notre tour, mais c’est pour la bonne cause ! Pourtant, preuve s’il en fallait que nous ne sommes pas dans la misère (et que nous avons trop le goût des bonnes choses encore agrippé aux papilles), nous nous payons tout de même le luxe de laisser dans les bennes ces tomates, fraises, bleuets, mûres et framboises de culture absolument insipides si ce n’est franchement dégueulasses. Je me suis même assez vite lassé des bagels que je trouve dans la benne de la boulangerie spécialisée dans leur confection et qui jette exclusivement des exemplaires mal formés ou trop cuits de la version classique à la farine blanche. Je lui préfère de loin le modèle au blé complet, moins écœurant mais beaucoup moins populaire, donc moins cuisiné, et par conséquent moins jeté.

Nous mangeons moins de viande qu’en France, où bien que nous n’ayons qu’à nous servir d’agneau ou de poule de notre propre ferme dans le congélateur, nous ne faisons déjà pas des orgies. Moins de fromage aussi, relativement au prix exorbitant de la majorité de ceux qu’on trouve ici. Je le vis différemment ici parce que la viande se pavane dans les magasins (que je fréquente bien plus souvent qu’en France) et surtout sur les devantures de certains restaurants, ou simplement dans leur nom. Il y a aussi que, faute de produits de qualité comme ceux de nos jardins, il y a moins d’excitation à envisager la cuisine et les repas (que j’aime habituellement simples, préférant mettre temps et énergie à autre chose) et ainsi plus la tentation de se faire nourrir par autrui. À cela nous n’avons cédé qu’en de rares circonstances jusqu’à présent, le budget en prenant un sacré coup à chaque fois.

Les tentations de la ville sont aussi culturelles et si nous jouissons de la bibliothèque ou de la piscine gratuites, de certains spectacles à un dollar la place dans les Maisons de la culture, il est évidemment un poil frustrant de ne pouvoir se permettre certaines sorties fort prometteuses. Ainsi va la ville, génératrice de frustration, et à plus forte raison la ville québécoise, qui, encore sous le joug de l’hiver (plus soft) en mars, n’offre que peu d’échappatoire aux espaces multi-arpentés des intérieurs, à leur manque de verdure et à leur chaleur artificielle…

Peut-être aurais-je dû me mettre aux patins à glace, mais avant que tout cela ne commence à me peser plus sûrement, je ne pressentais guère d’intérêt à aller tourner en rond sur une mare gelée. Cela dit l’honnêteté m’oblige à dire que si la santé de ma compagne le lui avait permis, je me serais volontiers initié à la chose en sa compagnie, et que j’ai fait des glissades – tout aussi vaines que le patin, mais ne nécessitant pas apprentissage – avec quelqu’un d’autre et avec grand plaisir au pied du parc-montagne de la ville. La ville, cette jungle, est pour moi et sans doute bien d’autres timides, d’autres inadaptés, un buisson piquant plutôt qu’un bosquet chargé de fruits. Pour cela, je me félicite d’avoir désormais construit ma vie à la campagne et espère plus que jamais que je pourrai l’y poursuivre.

En ville – 2

25 janvier 2019

Peut-être que dans un autre contexte la ville aurait des choses à me donner. À donner au paysan – étymologiquement, celui qui reste au pays. Mais il y eut la marche vers la mort puis le décès de ma belle-mère. Il y a les problèmes de santé de ma compagne et ses démons. Il y a le manque de fric et mes éternels blocages relationnels, mon besoin de nature et de solitude qui me font ressentir la ville comme un immense terrain de jeu duquel je suis exclu ; ainsi que ça arrivait déjà avant, avant de me faire paysan.

Il y a la difficulté à créer, comme toujours, mais accentuée par le sentiment d’avoir pris du retard sur ceux de ma génération qui ont progressé pendant que je trempais les mains dans la terre. Qui progressaient déjà avant cela tandis que je stagnais à ne pas oser donner à mon travail une direction plutôt qu’une autre.

Il y a la mise à mort, un jour, de mon rêve de narration (dessinée, ou pas – un nouveau moyen de se donner trop de possibilités) et sa renaissance le lendemain parce qu’à avoir donné et sacrifié pour rendre ce voyage possible, et alors que je n’en suis pas encore mitan, je me dois bien d’insister un peu pour le rendre fécond.

Il y a mes rêves de lectures, de nourriture culturelle, jamais assouvissables. Sans doute d’autant moins que la bibliothèque du quartier est accessible et bien achalandée.

Il y eut une grosse crève de trois semaines, une conjonctivite assassine, des reflux gastro-œsophagiens et des tensions corporelles d’une ampleur inédite. Et un champignon sur le gland. De quoi se sentir bien peu armé pour affronter les difficultés.

Il y a peu de surprises au fond, mes propensions étaient connues, mes réactions attendues. Je n’en espérais sans doute juste pas tant.

Pas tant de maux, bien que ma compagne ait depuis que je la connais une santé fragile et que pour ma part l’hiver me voit toujours un peu affaibli et endolori quelque part.

Pas tant d’angoisses du côté de ma compagne malgré les questionnements existentiels sur fond de deuil familial.

Pas tant de sentiment d’enfermement malgré la promiscuité avec ma compagne dans un petit appartement et avec des dessinateurs dans un atelier, et malgré le froid, caractéristique à la région géographique, qui interdit de flâner dehors sans s’activer à quelque chose.

Pas tant de questionnements artistiques, mais c’était sans compter de nouveaux refus, par les éditeurs, de mon travail achevé l’an dernier en Bretagne, et les tergiversations maladroites de Nature & Progrès quant à un projet de BD que je leur propose.

Ainsi la ville m’apporte peu, ainsi ma campagne me manque, mon nid me manque, ainsi je me sens bien paysan – du pays.

Ainsi, contrairement à ce que j’écrivais l’hiver dernier, je ne me trahis peut-être pas tant en étant paysan, pas plus en tout cas qu’en étant auteur de bande dessinée ou de textes. J’ai souvent fantasmé pouvoir exercer chacune des deux activités à mi-temps, vivre la moitié de l’année en ville… Mais ça, il semble que je suis en train d’en revenir.

(Ainsi j’espère fort que la distance prise avec l’activité pendant cette longue période ne me jouera pas de tours au retour, que ma volonté de me coltiner la complexité du métier reviendra vite et que mes petits muscles n’auront pas trop fondu – puisque je ne vais pas à la salle, que je ne me suis pas mis à la boxe et que j’ai très vite abandonné les pompes et les séances avec les petits haltères de ma belle-mère devant un film.)

Avec les bêtes – 19

31 décembre 2018

Ils m’ont accompagné en 2018 :

Le jeune chat qui vient chier dans la tranchée fraîche où je sème mes haricots et qui, après que je l’ai chassé, que j’ai évacué la crotte et rebouché la tranchée, revient, lui, reboucher son trou qu’il n’y a pourtant plus à reboucher – soit regratter et déterrer en partie les semences -, soucieux de mener à bien l’intégralité de sa tâche domestique.

Les oiseaux par dizaines, perchés sur la grande enseigne du grand supermarché, comme une touche de poésie publicitaire. Mais les oiseaux saboteurs qui chient sur les clients qui passent sous l’enseigne au moment d’entrer dans la galerie marchande.

L’araignée touchante d’un matin d’automne pluvieux qui, alors qu’il n’y a personne d’autre pour le faire, me remonte le moral un instant, me fait sourire avec sa danse de l’enroulement de mouchelette en fil collant sur fond de musique de J. S. Ondara qui passe à la radio.

L’âne, qui aime courir derrière ma voiture quand je la descends près de la maison par le chemin cabossé qui passe dans son parc… Au moment de faire demi-tour pour reculer vers la maison, je l’ai en général semé, mais le temps de faire la manœuvre, le revoilà, qui m’empêche de reculer en se tenant derrière l’auto, puis en se roulant par terre – si je n’ai pas reculé assez vite pour le chasser, et assez doucement pour ne pas le cogner. L’âne, qui cette fois-ci a fait si vite entre le moment où je l’ai perdu de vue en descendant et le moment où j’ai manœuvré, que lorsque je reculais, il s’ébattait déjà dans la poussière à terre, hors de mon champ de vision. Ça a fait blong quand je l’ai heurté et je n’ai pas tout de suite compris ce que c’était. J’en ai frémi en le découvrant qui se relevait – tout à coup rudement pressé de me laisser la voie libre -, puis ri de bon cœur quand j’ai constaté que ce grand comique n’avait pas de plaie et ne boitait aucunement.

Tant d’autres, de près ou de loin, qui font que le quotidien est plus riche, la vie plus complexe et savoureuse…

En culture – 2

28 décembre 2018

Les séries sont à la mode, n’ont paraît-il jamais été d’aussi grande qualité. Moi, j’ai du mal à croire qu’autant d’heures passées avec les mêmes êtres fictifs puissent ne pas laisser un certain vide intérieur chez le spectateur, et puissent nourrir autant que la même durée – ou certainement une bien moindre – passée à naviguer entre différentes œuvres, avec différents artistes. J’ai du mal à croire que les postulats quasi incontournables de suspense et de nombreux personnages pour un récit dévoilé au compte-gouttes ne biaisent pas de facto la capacité à juger de ces productions en les plaçant dans la catégorie des objets addictifs… Comme le glutamate monosidique rend difficile toute tentative d’apprécier la qualité d’un plat qui en contient.

Une règle que cependant moult exceptions doivent confirmer, et à l’heure où j’ai plus de temps à consacrer aux loisirs et un accès à internet plus aisé que dans mon trou cévenol, j’ai retiré, je dois avouer, grande satisfaction à me faire la série documentaire radiophonique du Journal Breton de l’émission Les Pieds Sur Terre, sur France Culture. En vingt-deux épisodes d’une demi-heure, pour deux saisons d’une incursion dans la ruralité bretonne, et plus précisément, pour majorité, dans l’univers agro-industriel, la journaliste Inès Léraud expose avec un sens du récit et de la synthèse exemplaires les grands travers de la vision productiviste de l’agriculture moderne qui fait les beaux jours de certaines puissances économiques du milieu. Et le grand malheur de la majorité des citoyens vulnérables aux pollutions et à la malbouffe. Et l’infini désespoir des agriculteurs largués qui ne peuvent pas mordre la main de leurs maîtres (coopératives puissantes, syndicat agricole majoritaire) inféodés aux lobbies, et qui de fait, puisqu’il leur faut tout de même exprimer leur colère, attaquent principalement qui interroge leur mode de production…

Ainsi voilà une petite somme à même de répondre aux interrogations majeures de bien des gens sur la question de la crise du modèle agricole dominant. Je ne peux que souhaiter son introduction dans le plus grand nombre de conduits auditifs possible.

Moi, citoyen – 29

23 décembre 2018

À rebours de ce qu’on entend la plupart du temps dans les milieux écologistes radicaux (mais plus ou moins politisés), ne faudrait-il pas :

  • Appeler à une révolution matérialiste plutôt que spirituelle (fourre-tout) ? À une révolution du matérialisme ?

Regarder en face, rationnellement, ce qui fait de nous, humains, des êtres de nature, et à quel point on a besoin de cette nature, et comment on peut collaborer avec elle dans l’intérêt de toute la biodiversité.

Ne pas répondre par des croyances et des vœux pieux à des carences de connaissances et à des mécanismes de blocage complexes. Expérimenter méthodiquement les alternatives possibles aux logiques de pouvoir, d’exploitation et de rejet de l’autre… dans le respect des perceptions spirituelles de tous les acteurs, choses qui étant éminemment personnelles ne doivent en aucun cas se faire dogme, prétendre à une vision universelle.

  • Mettre l’accent sur l’intérêt à court terme (et non la nécessité de voir loin) de chacune des solutions (et non de toutes) à mettre en œuvre pour le futur ?

Si rien ne permet d’affirmer que toutes les actions écolos individuelles et collectives d’importance suffiraient, ultimement, à préserver l’humanité de la catastrophe écologique universelle (sauver la planète), elles ont néanmoins toujours ou auront dans un futur pas si lointain des effets désirables sur la vie de certains voisins terriens…

Ceci n’étant pas une disposition d’esprit pour se satisfaire des petits gestes des particuliers, faits plus ou moins en conscience, ni des petits pas, en avant, en arrière, des puissants de ce monde vers des lendemains moins durs, mais bien un moyen d’ouvrir les esprits à certains enjeux cruciaux en les abordant par un petit bout du problème, et par des solutions forcément partielles.

On comptera ensuite, en s’efforçant de les stimuler chez ceux à qui l’on s’adresse, sur l’envie d’approfondir, le besoin de mieux comprendre, la velléité à agir plus justement à mesure que l’on avance dans l’existence. C’est je crois le moyen le plus abordable de se prémunir de l’inertie provoquée par la globalité de l’enjeu écologique et par la croyance en certains besoins matériels (qui ne sont en fait que des habitudes humaines relativement récentes, et chez certains, que des envies suscitées par l’avoir d’autrui et le modèle établi par les marchands).

Moi, citoyen – 28

21 décembre 2018

Au party de Noël de l’atelier de dessinateurs où j’ai pris place, l’écologie est de toutes les discussions et j’en reste bouche bée. Je me doute qu’il n’en est pas de même dans tous les milieux socio-économiques et je ne sais pas dans quelle mesure le Québec pourrait être plus en avance que la France sur la question, mais je m’interroge. Bien sûr, l’atelier est surchauffé, comme tous les intérieurs du pays, et l’on trouve là des personnes qui pour leurs loisirs ou dans le cadre de leur travail, prennent l’avion bien plus que de raison écologique… Mais au moins sur cette question, entends-je poindre une prise de conscience que je trouve rafraîchissante, à défaut d’être suffisante, loin du grand fantasme vendu encore un peu partout sous couvert d’ouverture sur le monde.

Bien sûr le Canada n’est pas plus en avance sur la question écologique que les autres grandes puissances qui se shootent à la croissance. Des grosses bagnoles y sirotent l’essence bon marché et rare est, dans les magasins, ce qui n’est pas emballé dans du plastique. Mais, peu de temps après mon arrivée, j’ai pu me procurer une petite poubelle brune pour faire ramasser mes déchets compostables dans la rue. Et quand je questionnai quelqu’un lors du party sur l’existence de groupes activistes anti-pub auxquels je pourrais proposer mes forces vives et mes neurones actifs (ce que je m’étais promis de faire si je retournais vivre en ville), la demande ne parut pas comprise. Je m’avisai ensuite, en rentrant chez moi que la pub, ici, ne pourrissait pas la ville comme elle peut le faire en France par l’entremise des sucettes JC Decaux, principalement, qui ont envahi les rues de toutes les villes. Sans doute les panneaux d’affichage sont-ils ici plus présents dans les zones commerciales et sur les routes. Mais en son sein même, il me faut bien avouer que la grande ville a beaucoup pour plaire. Des beaux et bas immeubles en briques rouges et leurs escaliers en fer forgé aux rues larges laissant toute latitude de profiter des cieux bleus et des tempêtes de neige. Des nombreux arbres et arbustes aux ruelles d’arrière d’immeubles, non déneigées et rarement fréquentées, où le temps de faire dix mètres l’on peut se croire tout à fait ailleurs que dans une cité moderne, bruyante et fourmillante – ce que peuvent également s’imaginer les habitants des bâtiments dont le petit carré de pelouse jouxte la rue derrière une palissade en bois plus ou moins déglinguée… Aussi, sans doute, et parce que j’évite autant que faire se peut les grandes artères commerçantes et roulantes, me trouvé-je influencé, imaginant que s’épanouissent dans cet environnement sensiblement plus d’esprits ventilés aux idées alternatives et sensibles à la protection de la nature qu’ailleurs. C’est très probablement une illusion, mais qui sait ?

Moi, citoyen – 27

21 décembre 2018

Ça me semblait la base : j’emmènerais au moins avec moi du thym et de la verveine de chez nous – c’est pas lourd -, comme un petit bout de Cévennes et la garantie de la qualité sur au moins deux aliments que je consommerais en ville, la garantie d’une économie au moment de faire mon marché. J’ai oublié. Pas si grave vis-à-vis de la masse de choses importantes que je n’ai pas oublié de faire avant le départ. Mais aujourd’hui, devant le rayon de plantes sèches et d’épices du magasin bio du quartier, je grimace en découvrant l’origine nord-africaine des plantes aromatiques qui m’intéressent.

Au moins sont-elles bio, ce qui n’est pas le cas de tout ce que l’on trouve en boutique estampillée bio. Il faut s’y faire, et se faire encore plus attentif qu’en France quand on arpente les allées d’un de ces magasins.

Quant à l’origine des produits, il faut là aussi ouvrir le bon œil et fréquenter les bonnes boutiques afin d’ignorer la production des voisins états-uniens et mexicains. Le Québec est tout à fait à même de nourrir son citoyen (même étranger) pour qui a appris à se régaler des légumes d’hiver. La province produit même en serres chauffées des légumes d’été. J’en ai goûtés chez quelqu’un d’autre, et au vu de ce que j’ai découvert là, j’ai compris que le concombre, que je prenais d’habitude pour un légume plus appréciable pour sa texture que pour sa saveur, pouvait dans une version fade être relativement détestable. Les asperges gorgées du soleil du Mexique, très consommées dans le pays, et qu’on se procure pour trois fois rien ici alors qu’elles constituent un petit luxe en France, me font de l’œil de leurs graciles pousses vertes. Mais je sais résister à ces tentatrices en attendant de retrouver celles de mon jardin, qui devraient être en pleine production quand je rentrerai fin avril.

Une association d’achat groupé, dénichée par ma compagne, nous a assuré l’achalandage en céréales, légumineuses, huiles, condiments et fruits secs, le tout en bio et le plus local possible. Il est toujours bon de pouvoir se reposer sur une structure au fonctionnement vertueux, comme nous pouvons le faire également en France avec notre petite biocoop associative. Puissent bien des gens comprendre que ça ne tient parfois qu’à un investissement réduit de consommer plus éthiquement sans se ruiner, de mettre un pied dans des milieux ouverts aux alternatives et plus au fait de celles-ci.

Ma vie d’élu – 13

14 décembre 2018

Le deuxième adjoint au maire, comme la première adjointe et une autre conseillère municipale, m’a écrit regretter mon départ. Au cours de deux ou trois échanges par courriel il en a profité pour faire état de ce qui selon lui dysfonctionnait dans la manière de faire du maire. J’ai ainsi découvert une vision critique qui rejoignait la mienne sur certains points, mais je ne restai pas sur le regret qu’un dialogue entre nous ne s’installe que trop tard sur ce point : trop de choses nous séparent sur d’autres, et si je suis à même de faire la part des choses entre certains penchants très droitiers de cet homme et sa volonté réelle de servir sa communauté du mieux qu’il le peut, je ne pense pas que j’aurais su travailler avec lui en toute sérénité.

Je le regrette assurément, mais ne désespère pas que certains y arrivent dans d’autres petites communes où, outre les divergences de points de vue sur des sujets particuliers, les colistiers n’ont même pas de vision sociétale partagée pour les réunir. Sans doute est-il possible de se satisfaire d’une défense commune des intérêts de la collectivité locale, mais il me semble malheureusement que ceux qui ont cette vision en ligne de mire ne s’aventurent guère à imaginer l’inscription de cette localité qu’ils chérissent dans un environnement social, économique et écologique plus vaste. Ce que, naturellement, j’ambitionnais pour ma part.

Moi, citoyen – 26

8 décembre 2018

Dans les rues de la grande ville où je réside provisoirement, je me joins à une marche « pour le climat ». Et parce que je ne suis ni pour ni contre le climat (!), j’imagine une pancarte qui spécifie ma vision de la chose écologique, versant lutte contre le réchauffement climatique. Notamment influencé par le mouvement des Gilets Jaunes qui sévit et séduit en France, j’écris sur un brouillon :

Le climat change, et il s’en fout.

La planète est plus forte que nous.

Les riches ont de quoi encaisser bien des coups durs…

Le combat contre le réchauffement climatique est une lutte sociale !

Non aux taxes qui précarisent les plus pauvres !

Halte aux profits démesurés !

Oui au partage des richesses, à une vie simple pour tous en bonne intelligence avec la Terre.

Puis, conscient que ça fait un peu long pour une pancarte faite à la va-vite et que je m’accrocherai dans le dos, j’expurge le texte des trois premières phrases. Ça reste trop long pour faire office de slogan, mais, à l’heure des propositions à côté de la plaque et des promesses de Gascon des gouvernements des pays riches sur le sujet, le combat le plus dur commence selon moi, qui est de mettre la société bourgeoise, petite-bourgeoise et toute-petite-bourgeoise (ou classes moyennes hautes et basses pour ces deux dernières) toute entière – mais pas dans une même mesure – en face de ses contradictions, de sa mauvaise foi, de son hypocrisie, de sa lâcheté. Ce qui n’est pas une mince affaire et commence forcément par regarder en face sa propension à soi-même céder parfois à ces travers.

Aussi, si je voulais me faire moins laconique et forcément un poil malaimable vis-à-vis de beaucoup de bien-pensants qui manifestent, j’aurais écrit :

À vélo dans ta ville et tes vacances en avion ?… Éco-imposteur !

Ou bien :

Consommateur vegan d’une production industrielle ?… Éco-imposteur !

Mais je ne suis pas du genre à chercher la bagarre. Surtout quand l’adversaire est surreprésenté.

En ville – 1

30 novembre 2018

Quand les gens de passage à la ferme évoquent le si extraordinaire silence qu’ils y trouvent, je l’entends. Mais il m’aura fallu repartir vivre en ville, faire mien à nouveau ce qui est leur quotidien, pour véritablement comprendre ce à quoi ils font allusion. En ville, le bruit est partout et ne s’arrête jamais tout à fait. On peut le mettre à distance, s’en protéger, mais pas s’en débarrasser. Il faut faire avec et sans doute je le ferai. Pour le moment, me trouvant fragile en période d’adaptation, je le ressens comme une agression.

Ma vie d’élu – 12

25 novembre 2018

Cette lettre-là n’a pas pour vocation d’être envoyée, ça ne servirait évidemment à rien.

Cher opérateur historique soumis à l’obligation de Service Universel (entretien et réparation du réseau de téléphonie fixe).

J’aurais pu vous écrire toute ma rage en tant que citoyen seulement, fustiger l’entretien quasi inexistant des lignes téléphoniques en campagne, et la légèreté criminelle avec laquelle vous traitez les plaintes légitimes des usagers sur les dysfonctionnements du service, et la désinvolture ou l’incompétence des sous-traitants sous votre commandement…

Mais j’ai également eu affaire à vous en tant qu’élu, et j’ai pu mesurer combien je n’étais pas bien plus important à vos yeux affublé de cette étiquette, combien ça ne suffisait pas à vous faire honorer votre mission. J’ai pu apprécier l’étendue de votre puissance et la complicité de l’État quand un sous-préfet, après promesses de soutien contre certaines preuves, n’accusa jamais réception de ces preuves que je lui fournissais.

J’aimerais dire que je me suis battu pour vous arracher des investissements mais j’ai surtout le sentiment de m’être débattu pour arriver quelquefois à vous faire honorer tardivement votre mission de réparation dans ce qu’elle a de plus élémentaire. Il y en a qui se seraient sûrement acquittés de ma tâche avec plus d’intelligence et de persévérance que moi mais ils n’étaient pas là.

Tant pis pour moi, pour mon orgueil. Tant pis aussi pour les petits vieux et les plus démunis, qui s’ils meurent un jour chez eux, faute d’avoir pu joindre à temps les services de secours, le feront devant un beau paysage ! On ne peut pas tout avoir, et on commence à le savoir par chez nous, tant ça nous est rétorqué souvent jusque dans le plus beau bureau de la sous-préfecture de la ville moche – est-ce de mon fait ? – du coin.

À l’heure où, sur la base de nombreux témoignages, l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) vous met en demeure de respecter votre objectif de qualité de service, force est de constater que mon bout de cambrousse n’est pas le seul à avoir à se plaindre de vos services ou de leur absence criante. Je me réjouis évidemment de cette sommation tout en ne nourrissant que peu d’espoir quant à son effet sur votre politique d’entreprise naturellement dévouée au profit, et que cette foutue astreinte au Service Universel fait mine – et seulement cela – de contraindre.

Veuillez néanmoins agréer tous mes vœux de mise en pratique d’une certaine humanité dans les plus brefs délais.